MÉTHODE 20 / 20 : RECENSEMENT DU CHEVREUIL PAR PIÉGEAGE PHOTOGRAPHIQUE

MÉTHODE 20 / 20 : RECENSEMENT DU CHEVREUIL PAR PIÉGEAGE PHOTOGRAPHIQUE
Les chevreuils sont difficiles à recenser avec précision. Une nouvelle approche basée sur l’identification des brocards par piégeage photographique permet d’obtenir une meilleure estimation de leurs effectifs, un prérequis pour une bonne gestion de l’espèce. 

Texte et photos Amael Hinojo et Yves Bourguignon

Le chevreuil est une espèce d’importance écologique, sociale et économique. Les effets négatifs des populations de chevreuils à haute densité sont bien connus, notamment l’impact de l’abroutissement sur la régénération forestière, les dommages aux cultures et les accidents de la route. De plus, l’évolution des populations de chevreuils figure parmi les critères de gestion du lynx en Suisse. Il est donc important de disposer de méthodes précises de recensement afin de prendre les mesures de gestion adéquates.

Compter pour gérer 

Les méthodes de dénombrement des populations de chevreuils sont nombreuses (Meriggi 2008, Pfeffer 2017), mais celle qui est utilisée par les cantons romands est l’indice kilométrique d’abondance (IKA) publié en 2008 par l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage en France) et le CNRS (Centre national de la recherche scientifique en France). Cependant cette méthode ne permet pas d’obtenir des densités, mais indique les tendances de la dynamique des populations.

La réalisation de battues de décantonnement a été utilisée dans le canton de Vaud, dans les années 80, pour estimer des densités de chevreuils. Elle est toutefois particulièrement lourde à mettre en œuvre en raison du nombre nécessaire de participants, et sa fiabilité reste variable en fonction du milieu prospecté.

Une nouvelle méthode a été développée dans le cadre du travail de master d’Amael Hinojo à l’Université de Lausanne, en collaboration avec l’OCAN (Office cantonal de l’agriculture et de la nature à Genève) et le KORA. Cette méthode, nommée 20 / 20, a été mise au point en 2018 dans les Grands Bois de Satigny (région Allondon), puis appliquée au cours de l’été - automne 2019 sur trois autres massifs forestiers genevois : Versoix, Jussy et Chancy. En 2020, cette méthode a été appliquée dans les bois du Jorat (Vaud). En 2022, la densité a été réévaluée dans les Grands Bois de Satigny et pour la première fois dans les Bois de Treulaz et du Moulin-de-Vert. 

Grâce aux pièges photographiques

La méthode baptisée « 20 / 20 » se base sur les photos enregistrées par vingt pièges photographiques disposés pendant vingt jours sur une parcelle d’un kilomètre carré. Les photos et les vidéos de chevreuils sont classées comme brocard, chevrette afin d’estimer le sex-ratio. Les brocards sont ensuite identifiés sur la base de leurs bois, comme illustré dans l’image montrant cinq individus (a-e) identifiés au moyen d’une morphologie de bois distincte : nombre de cors (pointes), longueur, forme, taille des meules, courbure et hauteur de bifurcation. Leur densité est estimée au moyen de modèles de capture - recapture photographique. Le pelage des chevrettes ne présentant pas suffisamment de traits pour l’identification individuelle, la densité totale de chevreuils dans le secteur d’étude est extrapolée sur la base du nombre d’évènements de brocards, de chevrettes…  Concernant les faons, ils ont été écartés de la méthode, leur détection étant inférieure aux adultes. Toutefois le gestionnaire souhaitant, par exemple, avoir une idée du taux de reproduction, pourra également utiliser les données tout en étant conscient d’une marge d’imprécision supérieure. A noter que l’imprécision de la méthode plaide pour la répéter régulièrement sur un même massif et chaque fois comparer les résultats avec les événements influençant la population de chevreuils. Un article scientifique sur le développement de la méthode 20 / 20 en Suisse a été publié dans la revue scientifique internationale Journal of Wildlife Management. Il offre une description détaillée de la méthode qui est également en libre accès sous le lien du site internet du bureau FauneNatur Sàrl : https://faunenatur.ch/nouvelles/

Les recensements réalisés sur le canton de Genève, indiquent de grandes différences entre les secteurs, avec des densités très élevées à Satigny (37 adultes / km2 en 2018 et 28 adultes / km2 en 2022). Des densités intermédiaires à Jussy (23 adultes / km2 en 2019 dans le secteur nord et 12 adultes / km2 en 2020 dans le secteur sud) ainsi qu’à Treulaz (20 adultes / km2), et beaucoup plus faibles à Chancy (5 adultes / km2) et à Versoix (4 adultes / km2). Les densités plus faibles à Chancy pourraient être liées à la chasse qui s’exerce dans les bois limitrophes de la France voisine. A Versoix, la forte présence du cerf limite très probablement le développement du chevreuil et les biotopes des forêts de Chancy sont moins favorables à une densité forte.

 

 

L’unique recensement réalisé sur le canton de Vaud est situé dans les bois du Jorat. En 2020 les résultats de densité obtenus (19 adultes / km2) ne sont pas plus faibles que la moyenne dans le canton de Genève, sur des populations non chassées. L’absence d’une importante population sédentarisée de cerfs dans les bois du Jorat joue probablement un rôle crucial. Une autre raison pourrait être que la pression de chasse sur le chevreuil dans le Jorat (jusqu’à 2020) est à un niveau bas et n’a pas d’effet significatif sur le nombre de chevreuils dans cette zone d’étude. Selon les données annuelles sur la chasse obtenues auprès de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud, le nombre de chevreuils prélevés dans cette zone d’étude est faible, environ 2 chevreuils / km2 de forêt sont prélevés (moyenne des années 2010 à 2020).

En conclusion, cette étude fournit une approche précise et pas trop coûteuse (environ 5000 francs par mesure, matériel et gestion des pièges pendant les vingt jours non compris) pour estimer les densités de chevreuils. Il serait intéressant de valider la méthode dans des régions telles que le Jura et les Préalpes, qui présentent des densités de chevreuils probablement plus basses que celles estimées en plaine dans les cantons de Vaud et de Genève.

 

 

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