L’HISTOIRE DES RAPPORTS ENTRE L’HOMME ET LE LOUP DÉVOILE UN CONFLIT MILLÉNAIRE

L’HISTOIRE DES RAPPORTS ENTRE L’HOMME ET LE LOUP DÉVOILE UN CONFLIT MILLÉNAIRE
Le loup divise les hommes depuis des millénaires. Bien des comportements du prédateur qui nous étonnent aujourd’hui étaient fort bien connus de nos ancêtres. C’est le message de l’historien français Jean-Marc Moriceau.

Texte et photo de Pierre-André Cordonier, Agri (hebdomadaire professionnel agricole de Suisse romande)

 

Le loup passionne toujours autant. Pas loin de trois cents personnes s’étaient donné rendez-vous le 28 avril dernier à Montricher (VD) pour écouter le spécialiste de l’histoire rurale Jean-Marc Moriceau, invité par Agora et l’Association romande pour la régulation des grands prédateurs. Il s’agissait en majorité d’agriculteurs avec leur famille ainsi que de chasseurs. Il est vrai que les arguments du professeur d’histoire à l’Université de Caen Normandie, membre honoraire de l’Institut universitaire de France et président de l’Association d’histoire des sociétés rurales, ne peuvent que conforter les paysans dans leur méfiance vis-à-vis du canidé. Jean-Marc Moriceau a travaillé quelque vingt ans avec d’autres chercheurs sur le loup à travers l’histoire, des enquêtes menées sur le terrain, afin « de ne pas parler du loup depuis Paris, sur le bitume des villes ». Ces recherches se sont traduites en plusieurs livres destinés à un public varié.

 

 

Amnésie générale


L’auteur de L’homme contre le loup. Une guerre de deux mille ans, aux éditions Fayard, a qualifié d’amnésie l’étonnement de nos contemporains d’Europe occidentale face aux attaques du canidé, une amnésie due à l’éradication du grand prédateur de nos contrées. Les attaques massives contre les troupeaux de moutons et plus épisodiquement contre les bovins et autres animaux de rente, chevaux compris, ont émaillé l’histoire des sociétés humaines depuis l’Antiquité. Bien pire, les loups ont fait régulièrement des victimes parmi les éléments les plus faibles ou défavorisés des populations humaines, des enfants isolés, des bergers très jeunes et seuls, etc., selon les sources écrites commentées par Jean-Marc Moriceau. Ces prélèvements représentaient toutefois un pourcentage très faible de la population, surtout en comparaison des victimes de maladies et de guerres endémiques à ces époques. Les populations de loups étaient en outre sans commune mesure avec celles d’aujourd’hui en Europe occidentale, soit de quinze à vingt mille individus en France à la fin du XVIIIe siècle, pour une population d’environ douze millions d’humains, selon les estimations des historiens.

 

Documents à l’appui

Ces attaques représentent bien une réalité occultée aujourd’hui qu’il est difficile de mettre en doute, car elles sont relatées dans des documents administratifs, des rapports de police, parfois détaillés, provenant de régions différentes. « Il ne s’agissait pas de tous les loups, la majorité d’entre eux étant probablement craintifs face à l’homme, fuyants et discrets.» Mais il suffisait qu’un ou deux aient des comportements singuliers et dangereux pour l’homme pour marquer durablement un territoire. « On ne peut guère reprocher aux témoins de ces attaques violentes de ne pas en conserver un traumatisme durable à l’origine d’un rejet du canidé qui s’est communiqué de génération en génération », répète l’historien normand né à Paris. Les prédations sur l’homme sont rares, nous dit-il, mais les cartes qu’il nous présente à l’échelle du territoire français semblent montrer une réalité plus dramatique. L’historien insiste aussi sur le fait que ces relations de consommation partielle ou complète d’humains ne sont pas l’apanage des lieux et des époques du christianisme. Précisons aussi que l’on ne parle pas ici de loups enragés.

 

Des loups en ville

Jean-Marc Moriceau montre également le rapport entre l’activité du loup et les grands travaux agricoles, l’animal étant très au fait des activités humaines, ce qui lui permettait d’en profiter au bon moment. Autre fait commun : territoires des loups et habitats humains ont toujours été imbriqués. Et l’historien de s’étonner que l’on soit surpris de croiser des loups dans les villages et les villes. La lutte contre le carnivore a été engagée à la suite de ses dégâts répétés contre les troupeaux, notamment lorsque les meutes se multipliaient aux portes des villes, cela d’autant plus que milieux agricoles et citadins étaient davantage imbriqués qu’on ne le pense aujourd’hui. De nombreux notables ou bourgeois des villes investissaient une partie de leurs économies dans l’achat d’une ou plusieurs vaches, par exemple, afin d’en retirer un revenu stable (voir aussi notre rubrique A lire en page 29). Dès lors que le loup prenait sa part un peu trop souvent, les milieux urbains se sentaient tout autant concernés que les agriculteurs. Le grand perdant de ce combat a été le loup, quasiment éradiqué de nos régions entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.

 

Deux espèces en concurrence


La guerre entre l’homme et le loup est une histoire de plus de deux mille ans. Les deux espèces ont toujours été en concurrence. Le prédateur divise également les hommes à son propos depuis des millénaires. Aujourd’hui, après une éclipse, la surprotection du loup grâce à la Convention de Berne a créé les conditions de son retour notamment en France et en Suisse. Dans ce contexte, Jean-Marc Moriceau se sent un peu comme un témoin gênant, compris par certains responsables politiques qui ont toutefois les mains liées face aux milieux de l’environnement et face à la loi. Le loup, espèce de loin pas menacée d’extinction, est devenu l’emblème de la biodiversité, avec ses vertus surestimées, selon l’historien. « Je n’ai pas des idées simples, j’ai des avis nuancés. Le loup n’est pas à diaboliser, mais il n’est pas à sanctifier non plus.»

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