Réflexions sur les corvidés

Réflexions sur les corvidés

Par inconscience ou âpreté du gain, le XIXe siècle, entre bien d’autres méfaits, est à l’origine de la disparition de nombreuses espèces tels le bouquetin et le castor. Ce dernier a été victime d’une traque acharnée non seulement pour sa fourrure, mais surtout pour le castoréum, un liquide contenu dans ses glandes génitales considéré alors comme une panacée par la pharmacopée de l’époque, utilisé pour soulager les maux de tête et qui était vendu à des prix excessifs.

Les oiseaux, notamment les rapaces diurnes et nocturnes ainsi que les corvidés, n’ont pas échappé à ce carnage. Depuis des siècles, appréciés pour leur intelligence, divinisés même par certains peuples, les corvidés qui ne se distinguent ni par leur plumage et encore moins par leur chant sont tombés dans la disgrâce et deviennent des oiseaux de malheur voués à la superstition, ne pouvant provoquer que des calamités et des malédictions.

Le grand corbeau, le géant des passereaux.

Protection justifiée

Parmi les nombreuses victimes de l’époque figure le grand corbeau, injustement traité d’oiseau de mauvais augure. C’est un virtuose du vol acrobatique : virages sur l’aile, piqués, vol sur le dos, tout le répertoire y est. De plus, il ne craint personne, même pas l’aigle royal qu’il n’hésite pas à houspiller lorsqu’il empiète sur son territoire. Ce géant parmi les passereaux, au plumage noir à reflet bleutés et verdâtres, qui peut atteindre 1 m. 20 d’envergure, rend d’utiles services par son rôle de police sanitaire car sa vue perçante lui permet de découvrir les carcasses d’animaux qu’il ne manque pas de nettoyer. Ce n’est que justice si, aujourd’hui, la loi lui assure une entière protection. Depuis quelques décennies, le grand corbeau semble s’accoutumer progressivement aux régions habitées. Cette expansion vers les zones de moyenne altitude est certainement due aux décharges et gadoues où il vient quêter sa nourriture. Sa présence en plaine est un enrichissement pour notre avifaune.

Rien n’échappe à la vigilance du casse-noix.

La pie bavarde, de plus en plus fréquente dans les parcs.

Aux paysages campagnards desquels disparaissent régulièrement les haies, les fourrés et les bosquets, la pie bavarde marque de plus en plus sa préférence pour les zones urbaines. Plus particulièrement les grands parcs boisés des agglomérations où ses jacassements discordants ne manquent pas d’attirer l’attention. Son attirance pour tout ce qui brille lui a valu une réputation de chapardeuse. Mérite-t-elle vraiment ce qualificatif peu glorieux ? Des objets brillants ont été trouvés dans son nid, mais la pie apprécie surtout les insectes colorés tels les carabes et les cétoines qui l’attirent par leurs couleurs aux reflets métalliques, ainsi que les vers et les escargots qui font partie de son régime alimentaire.

Bien que craintif, le geai peut devenir familier au contact de l’homme.

As de la propagation

Les chasseurs l’ont surnommé du sobriquet peu flatteur de «mouchard». Rien n’échappe en effet à la vigilance du casse-noix qui, perché au sommet d’un arbre, signale toute présence inhabituelle. Lorsque son cri râpeux retentit dans la forêt, c’est la certitude d’avancer dans un désert. Ce corvidé au plumage brun chocolat moucheté de blanc possède une mémoire exceptionnelle. Durant l’été, en prévision de l’hiver, il amasse des graines d’arolles pour les enfouir dans le sol. Son territoire peut compter jusqu’à deux mille cachettes qu’il retrouve parfois même sous une épaisse couche de neige. Les quelques cachettes abandonnées permettront aux graines de germer pour donner naissance à des pousses d’arolles. Par son action, le casse-noix contribue ainsi à la propagation de cette essence.

Par sa diversité, la montagne procure aux corvidés de multiples habitats. Le geai affectionne les forêts de chênes, de hêtres et de châtaigniers. De nature méfiante, il ne s’aventure guère en terrain découvert, car certains rapaces, plus agiles en vol, n’hésitent pas à fondre sur lui. Est-ce un juste retour des choses ? Il arrive en effet au geai de piller les nids des petits passereaux pour chaparder leurs œufs et même les oisillons pour ravitailler sa progéniture. Très craintif, le geai peut devenir familier au contact de l’homme. Je me souviens de ce geai tombé du nid, recueilli et soigné par l’aubergiste d’un petit village provençal. Il n’avait pu se résoudre à quitter son bienfaiteur et venait quotidiennement le saluer à l’heure de l’apéritif. Il apparaissait ainsi sur la terrasse de l’auberge, voletait de table en table pour tremper son bec dans les verres de pastis, dédaignant toutes autres boissons. C’était devenu l’attraction de l’établissement.

Ceux des montagnes

Qui n’a pas assisté à l’envol d’une troupe de chocards ? Dérangés, tous ensemble, ils prennent leur essor en piaillant, à la recherche d’un souffle ascendant pour se laisser porter vers les hauteurs, comme une poignée de feuilles mortes. Sans efforts apparents, ils planent dans les airs en se laissant bercer par les courants sans un battement d’ailes. Ces corvidés au bec jaune et pattes rouges suivent les alpinistes dans leur ascension, bien au-dessus de 4000 mètres d’altitude, en espérant partager leur casse-croûte une fois le sommet atteint. Bien accueillis avec un brin de nourriture, d’un trait d’ailes, ces oiseaux noirs mais nullement tristes injustement traités de porte-malheur, pourront alors dire à leurs congénères que l’âme de l’homme, elle non plus, n’est pas aussi noire qu’on le dit dans le monde des corvidés.

Texte et photos Georges Laurent

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