
CHASSERA-T-ON BIENTÔT À L’ARC EN SUISSE ?

Interdite dans notre pays, la chasse à l’arc trouve pourtant de plus en plus d’adeptes suisses qui pratiquent dans les pays limitrophes où elle est possible. Cet engouement peut-il faire changer les choses chez nous ?
Texte de Vincent Gillioz
Lors de la dernière conférence des présidents de ChasseSuisse, Nicolas Walliman, président de la Fédération cantonale jurassienne des chasseurs (FCJC), a suggéré que ChasseSuisse démarre un processus d’amendement de l’Ordonnance fédérale pour rendre la chasse à l’arc possible en Suisse. Cette proposition a été formulée à la suite du constat qu’environ 10 % des chasseurs jurassiens possèdent le brevet de chasse à l’arc en France, et traversent régulièrement la frontière pour pratiquer leur art. Nicolas Walliman estime que cette proportion est probablement comparable dans tous les cantons limitrophes de la France.
Parmi les arguments en faveur de l’acceptation d’un tel projet, il a souligné la possibilité de régulation d’espèces susceptibles de causer des dégâts, proches des zones d’habitation, où l’usage d’armes à feu peut être problématique. « Cette technique de chasse a aussi l’avantage d’être silencieuse, furtive, de demander une immersion discrète dans la nature sans aucun dérangement pour la faune et les autres utilisateurs de la forêt. Elle reflète une bonne image de la chasse », a-t-il également argumenté.
La majorité des participants a approuvé cette proposition, et la faîtière nationale va donc s’atteler à ce laborieux dossier. David Clavadetscher, directeur de ChasseSuisse, nous a confirmé qu’une première étape était en cours, avec l’envoi d’un questionnaire à tous les acteurs de la chasse du pays, pour valider (ou invalider) la proposition et dessiner les contours des démarches à entreprendre.
Éthique et efficacité
La Loi fédérale sur la chasse de 1986 interdit formellement l’usage de l’arc, mais dans la réalité, cette pratique n’est plus exercée depuis le XVIIe siècle, les armes à feu ayant supplanté naturellement et progressivement les armes de trait. L’interdiction actuelle n’est toutefois pas fondée sur des questions d’efficacité, mais sur des considérations de protection des animaux, notamment le respect de l’obligation de mise à mort rapide et sans souffrance, que les autorités considèrent comme difficile à garantir avec un arc.
Contrairement au projectile d’une arme à feu, qui détruit les vaisseaux sanguins et organes par onde de choc, l’effet létal d’une flèche munie d’une lame aiguisée est produit par l’hémorragie de l’animal. La distance de fuite est généralement plus longue que lors de la chasse à balle, mais une flèche bien placée peut terrasser un chevreuil ou un sanglier sur place. Ceux qui ont déjà eu l’occasion de visionner des vidéos sur le sujet ont pu constater l’efficacité de la pratique et sa compatibilité avec les exigences de protection des animaux. Pour de nombreux adeptes, la chasse à l’arc est beaucoup plus exigeante et éthique que la chasse à balle, dans la mesure où elle impose des tirs à des distances très réduites, d’une quinzaine à une vingtaine de mètres.
Pratiquer à l’étranger
Très populaire aux USA, qui comptent autour de trois millions d’adeptes, la chasse à l’arc n’est pas encore adoptée de manière uniforme en Europe. Dans les pays limitrophes, elle est facilement possible en Italie pour le petit gibier et praticable sous certaines conditions régionales pour le grand gibier. La prolifération des sangliers en zone urbaine, combinée aux problèmes de peste porcine, incite les autorités locales des villes les plus touchées à permettre l’usage de l’arc pour la régulation des suidés.
En Allemagne, elle est prohibée, mais le sujet est en discussion pour les mêmes raisons qu’en Italie, et soutenu par plusieurs milieux cynégétiques.
En France, la chasse à l’arc est autorisée depuis 1995, et compte chaque année plus d’adeptes. Elle est conditionnée à un brevet spécifique, qui peut s’obtenir au terme d’une journée de formation auprès d’une fédération départementale.
Willy Schraen, le président de la Fédération nationale des chasseurs, souhaite même qu’un permis de chasse exclusivement à l’arc soit possible. Il existe en effet une frange de la population qui souhaite chasser, mais qui est réfractaire aux armes à feu. Celle-ci pourrait, avec un tel projet, rejoindre le rang des chasseurs tout en étant en accord avec ses valeurs éthiques.
À relever que l’Association départementale des chasseurs à l’arc de l’Ain (ADCAA), créée il y a une dizaine d’années, compte plusieurs chasseurs suisses de la région lémanique et propose des formations reconnues pour le brevet de chasse à l’arc. « Nous avons dans nos rangs sept instructeurs et nous organisons chaque année, au Château de Rosy, une session pour le brevet qui comprend la sécurité, l’éthique et les techniques de tir », nous explique Pascal Dupraz, fondateur de l’ADCAA. Et de poursuivre : « Nous possédons également trois territoires de chasse : un sur le plateau du Retord de 100 ha, un à Collonges-Fort-l’Écluse de 60 ha, et la réserve de La Maréchaude, dans le Haut-Jura, de 600 ha. Nous organisons encore des journées ou demi-journées d’initiation sur notre parcours 3D (sur mannequins d’animaux en matière synthétique), qui dispose de vingt cibles.» De nombreux archers pratiquent d’ailleurs le parcours 3D, qui est une discipline à part entière. Plusieurs associations d’archerie romande ont aménagé des parcours, qui peuvent représenter des opportunités d’entraînement intéressantes pour les chasseurs.
Évolution possible en Suisse
Si l’agenda politique fédéral ne prévoit pas de débats sur le sujet de la chasse à l’arc dans un avenir proche, l’autorisation récente des réducteurs de son démontre que des évolutions de la loi sont possibles. David Clavadetscher relève que le processus visant à retirer l’arc du matériel prohibé à la chasse peut être long, mais reste envisageable. « Nous devons d’abord mieux évaluer les prises de position des acteurs de la chasse en Suisse. Nous aurons des résultats sur le questionnaire qui est en cours de consultation d’ici au mois de juin. Si ChasseSuisse constate une forte volonté d’aller de l’avant, le comité se saisira du dossier. Il faudra avoir le soutien de la Conférence des services de la faune, de la chasse et de la pêche. Si nous l’obtenons, nous pourrons préparer une motion qui sera ensuite soumise et débattue au Parlement.»
Le directeur de ChasseSuisse souligne encore qu’un processus parlementaire de ce type prend environ deux ans avant d’aboutir à une décision. Mais il préfère ne pas mettre la charrue avant les bœufs, et veut attendre les résultats de la consultation en cours avant d’envisager une quelconque suite.
L’idée d’intégrer cette pratique ancestrale dans le paysage cynégétique suisse fait donc son chemin. L’avenir nous dira si celle-ci trouve l’adhésion des milieux concernés, qui devront eux-mêmes convaincre les milieux dits « de protection des animaux ». Le parcours est semé d’embûches, mais elles ne sont pas infranchissables.
Les personnes intéressées par l’archerie et la chasse peuvent contacter l’ADCAA via le site internet, https://www.adcaa.net/nous-contacter.
L’inscription au brevet de chasse à l’arc en France dans les départements limitrophes :
- Ain : https://fdc01.fr/formations/formation-de-chasse-a-larc/
- Haute-Savoie : https://www.chasseurs74.fr/media/bulletin-inscription_chasse_a_larc_2025.pdf
- Jura et Doubs : https://www.fdc25.com/se-former/catalogue-des-formations/