QUEL AVENIR POUR LA CHASSE À LA BÉCASSE EN SUISSE ?

QUEL AVENIR POUR LA CHASSE À LA BÉCASSE EN SUISSE ?
Le très attendu rapport final du projet national sur la bécasse des bois est sorti à la fin de l’année dernière. Il conclut qu’une chasse durable de cet oiseau emblématique reste possible pour autant que certaines mesures soient appliquées de manière uniforme dans le pays. Diana, chasse et nature fait le point avec quelques acteurs sur ce projet à l’accouchement difficile.

Texte et photos de Vincent Gillioz

 

Le projet national sur la bécasse des bois a débuté en 2014, et publié à la fin de l’année dernière. Le document de cent septante pages (annexes comprises) qui fait le point sur l’ensemble des travaux mené durant pratiquement sept ans (et qui ont coûté plus d’un million) a été reçu de manière mitigée. S’il conclut que la chasse à la bécasse reste possible dans notre pays tout en préservant les nicheuses (indigènes), certains milieux cynégétiques considèrent que des mesures proposées sont presque dissuasives à une poursuite acceptable de la chasse. Du côté des milieux ornithologiques, quelques-uns regrettent que les conclusions du document ne bannissent simplement pas la possibilité de réaliser des prélèvements avant mi-novembre.

Contexte
La bécasse des bois est une espèce considérée comme non menacée à l’échelle européenne. Par contre, vu l’effectif limité et la régression continue de ses populations nicheuses en Suisse, elle est considérée comme une espèce menacée en Suisse (VU : vulnérable dans la Liste rouge). Selon la Loi fédérale sur la chasse, elle fait partie des espèces chassables du 16 septembre au 14 décembre. La chasse à la bécasse est autorisée et pratiquée dans les cantons de Fribourg, Jura, Neuchâtel, Tessin, Valais et Vaud, ainsi qu’au Jura bernois, selon les modalités afférentes aux législations cantonales. En 2012, lors de la révision de l’Ordonnance sur la chasse, des discussions animées ont eu lieu quant au statut de l’oiseau. Comme on peut s’en douter, les milieux ornithologiques ont souhaité interdire sa chasse, ou en tout cas limiter au maximum la période, alors que les milieux cynégétiques ont défendu une pratique durable avec des prélèvements réalisés essentiellement sur les individus migrateurs de passage. Suite à ces débats, l’OFEV a décidé de lancer et de soutenir un suivi de terrain focalisé sur l’écologie et l’éthologie de l’oiseau, et sur l’effet de la chasse, de l’évolution des milieux, de la prédation naturelle et du dérangement sur ses populations indigènes.Plusieurs questions restent toujours ouvertes quant à l’effet respectif de ces différents facteurs sur les populations de la bécasse.

 

Rigueur scientifique
Coordonné par l’Université de Neuchâtel, sous la direction d’Yves Gonseth, le projet a été supervisé par un groupe scientifique et un groupe stratégique. Les milieux cynégétiques, ornithologiques et forestiers ont été intégrés aux deux groupes dès le début des travaux. Dans les grandes lignes, tout le monde s’accorde à dire que les travaux de terrain ont été menés avec toute la rigueur scientifique requise par l’exercice. Compte tenu de la complexité du projet, et du fait qu’il portait sur l’étude des mœurs d’un animal sauvage, migrateur, particulièrement discret, difficile à capturer, et dont les origines géographiques sont multiples, les observations effectuées tout au long de l’étude restent toujours délicates à interpréter. Cependant, plusieurs éléments apportent de nouvelles connaissances importantes sur le comportement des bécasses durant la période de reproduction ainsi que sur la migration des indigènes suisses vers leurs zones d’hivernage (où elles sont chassées).

Plusieurs protagonistes relèvent que ce projet dit « national » n’a été finalement mené, pour sa partie opérationnelle, que dans le Jura neuchâtelois et sa partie limitrophe vaudoise, ce qui limite sa portée. Des voix déclarent encore qu’il s’est agi d’un projet sur les bécasses nicheuses, et non pas sur la population présente durant la chasse. Le terme de nicheuse suisse (indigène) est par ailleurs controversé, dans la mesure où, compte tenu des données recueillies, certains oiseaux suivis durant la période de reproduction ont voyagé entre les Jura suisse et français. D’autre part, Il n’est en effet pas exclu qu’un individu niche une année en Suisse, et ailleurs l’année suivante.

Ce qui en ressort

Les lecteurs intéressés par le sujet sont invités à consulter le rapport sous www.cscf.ch/cscf/cscf/becassedebois pour en comprendre tous les enjeux, scientifiques autant que politiques. Par souci de concision, nous ne nous attardons pas plus sur la méthodologie, les résultats intermédiaires, etc. Ce qui est important, c’est la conclusion et les recommandations qui ont été émises au terme du travail, que nous avions déjà publié dans notre précédent numéro. Le rapport dit en substance : « Sur la base des résultats obtenus, le groupe d’accompagnement scientifique estime que la pratique de la chasse à la bécasse des bois est compatible avec la conservation de populations nicheuses viables. Afin d’améliorer la protection des bécasses nicheuses, les modalités de la chasse en Suisse doivent toutefois être adaptées aux nouvelles données rassemblées.

Les mesures proposées, de nature spatiale, temporelle, quantitative et / ou qualitative, doivent permettre de maintenir au plus bas la proportion de bécasses indigènes prélevées dans le territoire Suisse ouvert à la chasse de la bécasse. Elles prévoient :

  • L’extension de la période de protection fédérale de la bécasse des bois en automne.
  • La mise en place d’un prélèvement maximal annuel (PMA).
  • La mise en place d’un prélèvement maximal journalier (PMJ) ou hebdomadaire (PMH).
  • La mise en place de réserves de chasse temporaires ou permanentes.
  • L’homogénéisation des mesures de gestion cynégétiques entre les cantons et si possible avec les régions dans le voisinage immédiat de la Suisse.»

Ce qu’en pensent les bécassiers

Diana, chasse et nature a demandé à plusieurs protagonistes du projet leur sentiment après la publication. Jean-Claude Givel, représentant de ChasseSuisse, s’est déclaré globalement satisfait des conclusions, dans la mesure où elles démontrent que la chasse à la bécasse des bois reste possible sous certaines conditions. Parmi les difficultés rencontrées durant le projet, il relève les changements d’interlocuteurs des associations de protection de la nature. « Sur les sept ans qu’a duré le projet, les membres du groupe ont parfois changé. Certains sont arrivés sans avoir suivi le dossier du début, avec des idées à défendre. Ça n’a pas contribué à un travail serein. Mais il faut rester positif, même s’il a fallu faire des concessions, l’essentiel est que les travaux scientifiques démontrent que nous pouvons continuer à chasser.»
Henri-Armand Meister, membre du groupe scientifique pour la recherche, est un peu plus mesuré, et se sent un peu trahi à l’issue du processus. « La manière dont a été mené le projet était vraiment excellente et je garde un très bon souvenir de ces années de travail. Il y avait des gens brillants, des docteurs, le niveau des discussions était élevé. Par contre, lors de la rédaction finale, un glissement s’est produit au niveau de la rigueur scientifique : j’ai ressenti une orientation marquée de la part du rédacteur. Le fait que les conclusions permettaient de poursuivre la chasse n’était visiblement pas du goût de tout le monde.» Paul Duchein, ancien président de l’ASB et membre du groupe stratégique, relève pour sa part : « Les propositions de mesures cynégétiques (et forestières) découlant du RF sont acceptables pour une chasse moderne de la bécasse, où le tableau final n’est plus l’élément primordial.» Il précise également que : « La pression de chasse sur la bécasse nicheuse en Suisse n’a pas été documentée dans le rapport, mais il convient de noter que les indigènes suisses continuent à être chassées à l’étranger après la fermeture du 14 décembre en Suisse (jusqu’au 20 février en France), et qu’une étude de l’ASB transmise mais non citée dans le rapport démontre que la pression de chasse est quinze fois plus faible dans l’Arc jurassien suisse que dans le département voisin du Doubs.»
Enrico Capra, actuel président de l’ASB et chasseur au Tessin où 70 % des bécasses sont tirées, souligne : « Ce rapport représente une base d’information importante pour la connaissance de l’espèce et pertinente pour une gestion cynégétique correcte en Suisse, mais aussi dans les pays voisins où la pression de chasse est beaucoup plus élevée.» Il regrette comme d’autres : « Même dans le cadre d’un projet scientifique comme celui-ci, certaines associations écologiques se sont obstinées à considérer les chasseurs comme unique problème de la bécasse, plutôt que de chercher et trouver des solutions communes en faveur de l’espèce. Il aurait été préférable de saisir l’occasion de travailler ensemble pour ce bien commun qui nous passionne.»
Finalement, le président de Diana Romande, qui chasse la bécasse depuis quelques années, considère d’une part que le suivi et l’apport permanents qui précèdent et accompagnent l’action de chasse sont précieux et nécessaires au suivi scientifique de l’espèce. D’autre part, il se réjouit que le rapport final conclue que la chasse de la bécasse des bois est durable et possible, et qu’elle n’a aucune raison scientifique, autre qu’idéologique, d’être controversée et menacée de suppression.
Les points de vue sont ainsi unanimes quant à la rigueur avec laquelle a été mené le projet, ce qui est réjouissant. Et si le fait que le rapport conclue que la chasse à la bécasse est possible sans affecter les nicheuses suisses est plutôt une bonne nouvelle, l’inquiétude que des mesures dissuasives soient mises en place est bien compréhensible, notamment une ouverture très tardive qui limite la chasse possible à quelques jours par an.

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