LE VÉRITABLE IMPACT DU CHAT DOMESTIQUE SUR L’AVIFAUNE
L’impact des chats domestiques sur l’avifaune est une réalité, mais les résultats des études qui tentent de le mesurer sont souvent contradictoires. Point de situation sur les conséquences que
peuvent avoir nos minets sur les écosystèmes et la petite faune.
Texte Martin Weggler résumé par Vincent Gillioz
Article de courtoisie proposé par Wildtier Schweiz
Le chat domestique et son instinct de chasse légendaire a eu depuis le début de l’époque moderne un impact massif sur la diversité des espèces indigènes, dans plusieurs zones du globe et plus particulièrement dans les îles. La faune d’Australie, de Nouvelle-Zélande de même que celle des archipels du Pacifique, de l’océan Indien ou des Caraïbes a souffert de la présence des chats domestiques apportés par les humains. La faune de ces îles qui n’abritaient pas ou peu de prédateurs à sang chaud n’était pas préparée à l’arrivée de Minet, qui s’est souvent régalé de ce qui lui était offert sur un plateau. Plus un archipel est isolé et les îles de petite taille, plus l’impact du chat introduit par les humains est important.
Les oiseaux de mer, qui se rendent sur des îles isolées pour pondre à même le sol, sont particulièrement concernés. L’albatros des Chatham, qui ne se reproduit que sur une seule île dans le monde (à 800 km au sud de la Nouvelle-Zélande), a par exemple fait les frais de l’arrivée de quelques chats sur son site de ponte. BirdLife International a identifié que sur les 183 espèces d’oiseaux disparues depuis le début de l’époque moderne, 112 le sont suite à l’arrivée du félin.
La Liste rouge internationale de 2018 répertorie 1490 espèces d’oiseaux comme étant menacées, soit une espèce d’oiseaux sur huit, dont près de 15 % (222 précisément) sont au bord de l’extinction. Près de la moitié de ces espèces correspond à des oiseaux marins nichant à même le sol. Elles sont presque partout menacées par l’introduction du rat, du chat, des viverridés, du porc ou du lapin, qui dévorent les oiseaux ou les œufs, ou posent un problème de concurrence alimentaire.
De l’ancien au nouveau monde
D’un point de vue global, le chat domestique est l’espèce animale introduite qui a eu l’impact le plus catastrophique sur son environnement. Par contre, l’influence du prédateur dans les régions où félidés, canidés et mustélidés ont toujours été présents est bien moindre. On sait par exemple qu’il n’y a que deux espèces européennes d’oiseaux complètement éteintes : le grand pingouin et l’huîtrier des Canaries. Et leur disparition est due aux nuisances humaines et à une chasse outrancière, alors qu’en Amérique du Nord, dix espèces d’oiseaux nicheurs ont complètement disparu durant les deux derniers siècles, pour diverses raisons, dont l’arrivée des chats. Dans les zones continentales d’Eurasie, de nombreux prédateurs naturels occupent des niches alimentaires similaires à celle du chat depuis des millénaires. Dans nos contrées, le chat forestier, le renard, le blaireau, la martre des pins, la fouine, l’hermine, le hérisson, le rat, la souris, diverses espèces de hiboux et de chouettes, l’épervier, le faucon hobereau, le geai des chênes et autres corvidés, sans oublier le sanglier et les limaces, qui dévorent les couvées des espèces pondant au sol, sont concernés. À noter que notre chat domestique descend du chat ganté (Felis lybica) qui vit en Afrique du Nord et en Asie de l’Ouest. Le chat forestier (Felis silvestris) correspond, quant à lui, à une autre espèce de félins. Suivant l’être humain dans son expansion, le chat domestique (Felis catus) a vu ses effectifs augmenter, depuis neuf mille cinq cents ans en Europe et en Asie de l’Ouest, et à partir de l’époque moderne en Amérique.
Le chat chasse quoi ?
Le chat porte son dévolu sur des animaux nettement plus petits et légers que lui, essentiellement des rongeurs ou des léporidés dont le poids ne dépasse pas les 200 grammes. Au Royaume-Uni, le moineau, la mésange bleue, le merle et l’étourneau sansonnet sont les espèces les plus fréquemment victimes des chats. On estime que 30 % des moineaux retrouvés morts dans un village d’Angleterre ont été tués par des chats. Parmi les proies les plus lourdes, on dénombre quelques pigeons et canards. Quatre études réalisées en Suisse n’ont recensé que d’infimes quantités de vestiges d’oiseaux dans l’éventail des proies capturées par les chats. Un sondage effectué auprès des propriétaires de chats de Finstersee (canton de Zoug) a révélé que les chats domestiques, outre les aliments qu’ils recevaient à la maison, ramenaient au foyer en moyenne deux à trois animaux sauvages par mois, dont 11 % d’oiseaux. Le chat, comme tous les prédateurs, attaque généralement les animaux affaiblis, ou trop jeunes pour se défendre, afin d’optimiser ses dépenses d’énergie dans ses quêtes. Les chercheurs estiment encore que les « pièges » tels que les vitres, immeubles, lignes à haute tension, éoliennes, torchères, filets de protection pour les vignes, impactent beaucoup plus les populations d’oiseaux dans le monde entier que les chats.
Bénéfice du doute
Une étude réalisée dans le canton de Fribourg a révélé que le chat pouvait consommer des quantités considérables de charognes, et que les oiseaux rapportés n’étaient ainsi pas toujours des victimes. D’autres études portant sur les interactions entre les prédateurs et leurs proies arrivent à la conclusion surprenante que le chat, dans certaines circonstances, pourrait assurer un rôle de protecteur des oiseaux. Dans la mesure où il consomme surtout des souris et autres micromammifères, il réduit le nombre de prédateurs dont l’appétit menace les couvées et les nids abritant des oisillons. Lorsque le nombre de chats diminue, les populations d’autres prédateurs augmentent. Dans les années 1950, un programme de « déchattisation » mené sur l’île Amsterdam, dans l’océan Indien, visait à protéger les oiseaux nichant à même le sol. Le programme a été stoppé car la disparition des chats amenés par les humains a débouché sur une explosion de la population de rats. On retiendra donc que si le chat domestique est en mesure de décimer localement certaines espèces d’oiseaux, c’est surtout dans les écosystèmes fermés comme les îles qu’il peut poser problème. Dans les régions continentales, son impact est moindre.
À propos de l’auteur
Martin Weggler est ornithologue, directeur d’Orniplan à Zurich. Il suit depuis 1986 l’évolution des effectifs de toutes les espèces d’oiseaux nicheurs du canton de Zurich. Il a enregistré depuis dix ans en Valais la mortalité et la fécondité d’une population de rouge-queues noirs en baguant la totalité des adultes et des jeunes, permettant ainsi de déterminer les pertes dues aux chats.