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La chasse du bouquetin dans les Alpes vaudoises

La chasse du bouquetin dans les Alpes vaudoises

Après la regrettable polémique sur la chasse au trophée du bouquetin en Valais, Diana, chasse et nature s’intéresse aux autres pratiques cantonales quant à la gestion de Capra ibex, sans jugement ni prise de position. Regard sur le cas vaudois. 

Texte et photos de Bernard Reymond

 

Cet animal mythique lié à la haute montagne a été peu à peu exterminé par l’homme. Moins méfiant que le chamois, il se laisse beaucoup plus facilement approcher et, en plus d’une venaison fort appréciée, il y a cet os étrange, en forme de croix dans la région du cœur, qui constituait un précieux talisman. Muni de cette relique, celui qui la portait se sentait ainsi invulnérable au vertige. Comme on le sait, c’est le roi chasseur Victor-Emmanuel d’Italie qui a permis de sauver l’espèce grâce à sa chasse du Grand Paradis proche de notre pays. Ce territoire était surveillé par un fort contingent de gardes.

L’idée d’une réintroduction dans nos Alpes avait germé et la Confédération, déjà dans la Loi fédérale de 1875, faisait figurer la disposition suivante : « La Confédération cherchera à acclimater des bouquetins dans les districts francs ». Que de chemin parcouru jusqu’aux premiers lâchers, dès 1915 ! Il a fallu recourir aux braconniers valdotains en 1906 pour capturer des jeunes bouquetins et les transporter jusqu’au parc zoologique Peter et Paul de Saint-Gall, pour un élevage mené avec succès. D’autres opérations se répétèrent dès 1915 et les animaux étaient dirigés sur le parc zoologique du Harder-Interlaken. Ce sont donc une centaine d’individus qui furent ainsi « prélevés » au Grand Paradis. C’est donc bel et bien à partir des populations de ces parcs que se sont succédé, dès 1911, les divers lâchers dans les cantons de Saint-Gall, des Grisons et de Berne, puis dans les cantons romands.

Cet immense travail ne pouvait être assumé que par des passionnés et des gardes totalement motivés. Saluons les efforts des anciens, leur débrouillardise et leur habileté. Je pense en particulier aux gardes que j’ai connus personnellement, et l’inoubliable Oscar Darbellay avec sa mise au point d’un des tout premiers fusils hypodermiques. Le canton du Valais a ainsi beaucoup contribué à l’expansion du bouquetin, également hors de nos frontières.

Quid des Alpes vaudoises ?

Un premier lâcher a eu lieu le 25 mai 1955 dans la réserve de la Pierreuse. Il comprenait deux mâles et une femelle, de souche bernoise. Le 11 mai 1957, une femelle provenant du Mont Pleureur a été libérée au même endroit. Puis le 26 mai 1958, un couple provenant de l’Augsmatthorn et le 7 juin 1958, un autre offert par le Dählhözli de Berne, vinrent compléter ce premier effectif vaudois. C’est à partir des bouquetins provenant de la réserve de la Pierreuse et des animaux venus du canton de Berne (Wittenberg-Tschärzis) que démarra la colonie de la Cape au Moine-Chaussy.

Grâce aux mesures de protection et une bonne surveillance, on a assisté à une rapide augmentation.

Comptages

Des opérations de comptage systématique, nécessitant l’engagement de nombreux gardes professionnels, auxiliaires et observateurs bénévoles ont lieu chaque début d’été. C’est l’occasion aussi pour les candidats chasseurs et étudiants en biologie de compléter les équipes. Les résultats ainsi obtenus permettent d’établir l’effectif, secteur par secteur, et déterminer les tirs futurs. Bien entendu les chiffres varient d’une année à l’autre. Le recensement 2018 a donné un chiffre important, avec un total de 710 animaux, dont 108 sur Berne et 171 sur Fribourg, si l’on tient compte des importantes colonies existant sur les limites cantonales (Wittenberg et Bimis).

Gestion par la chasse

Le bouquetin, emblème de la Ligue suisse pour la protection de la nature, devenue Pro Natura, a été rigoureusement protégé par la loi et un acte de braconnage sur cette espèce se payait très cher. Mais, avec des effectifs élevés, on a, à juste titre à mon avis, organisé des tirs réguliers selon une planification rigoureuse soumise à l’approbation de l’Office fédéral compétent. On a tenu compte de l’exemple du chamois et les dommages de la kérato-conjonctivite. Les cas sont moins fréquents mais notre ibex peut aussi contacter cette épizootie.

Une autre maladie est apparue dans nos Alpes vaudoises, en 1995, dans les secteurs Cape au Moine – Wittenberg et à la Para. Le piétin, comme son nom l’indique, représente pour ces ongulés une grave altération aux pieds. La photo montre bien les onglons à vif et sanguinolents. Les pauvres victimes ne peuvent plus se déplacer et on les découvre, couchées et misérables sur les vires, avant la chute finale.

Ces dernières années, nous avons appris qu’une très importante colonie de la Haute-Savoie, Bargy-Jaloufre, bénéficiant d’une protection intégrale, avait subi une grave épidémie, la brucellose aux terribles conséquences. De nombreux exemples démontrent que des fortes populations d’ongulés non régulées présentent des risques sanitaires souvent amplifiés par la présence d’ovins en grand nombre sur les mêmes pâturages.

Avec des fortes concentrations de bouquetins, on peut constater des dégâts importants par l’abroutissement, la frayure ou l’écorçage. C’est aussi le cas dans les Alpes vaudoises, en particulier lors d’hivers rigoureux. Il incombe au garde de fixer la capacité d’accueil et c’est réellement une mission qui réclame beaucoup de connaissances et de concertations avec, notamment, les milieux forestiers.

Première ouverture en 1980

La chasse fut d’abord autorisée dans les Grisons, puis d’autres cantons suivirent. En septembre 1980, branle-bas de combat pour les chasseurs vaudois, avec la première chasse autorisée et onze bêtes au tableau. Ces opérations eurent lieu dans le versant escarpé du Vanil Noir – Bimis, et je me souviens encore des gros soucis de mon collègue Daniel Ruchet craignant des accidents et sollicitant l’aide des guides locaux.

Il est à relever que lors de l’élaboration de la nouvelle Loi fédérale sur la chasse de 1986, les parlementaires n’ont pas classé le bouquetin dans la liste des espèces pouvant être chassées, mais ils ont donné les compétences nécessaires au Conseil fédéral pour l’établissement de prescriptions en vue de sa chasse. C’est ainsi qu’est apparue l’Ordonnance du 30 avril 1990 sur la régulation des bouquetins (ORB).

On a imposé, dès le début, un plan de tir quantitatif et qualitatif. Comme déjà relevé, les comptages permettent de fixer le nombre d’individus à tirer, le sexe et l’âge. Les chasseurs vaudois autorisés à participer à cette régulation sont désignés par tirage au sort. Les bêtes tirées sont contrôlées par les surveillants de la faune, renforcés par quelques auxiliaires, qui
s’assurent que l’âge correspond bien aux prescriptions données. Si une erreur est constatée, le chasseur est pénalisé par une surtaxe. Pour des tirs de mâles non conformes, le trophée est saisi. C’est un moment difficile, tant pour le tireur que pour l’agent officiel. Depuis peu, les responsables cantonaux ont décidé la suppression de tout tir à l’intérieur des réserves fédérales, anciennement appelées « Districts francs fédéraux ».

Le plan de tir 2019 prévu correspondait à 28 chasseurs devant prélever 28 bouquetins. Et les chiffres suivants indiquent qu’il a été presque totalement réalisé, avec cinq jeunes de 1 et 2 ans, onze femelles de 3 ans et plus, six mâles de 3 à 5 ans, quatre mâles de 6 à 10 ans, un mâle de 11 ans et plus, soit un total de vingt-sept bêtes tirées.

Rigueur, mais aussi souplesse

Soucieux que la réalisation du plan de tir se fasse dans les meilleures conditions, les surveillants ont fait preuve de souplesse, en permettant à celles et ceux qui avaient des difficultés de revenir en déterminant la bonne date. L’aide dans le terrain a souvent été très appréciée et j’ai entendu des propos très positifs par rapport à ces « coaches » bienvenus et dévoués. Si l’acte de tir est, en général, assez facile, descendre cette grosse bête dans la vallée est une autre histoire. Il est certain que l’expression « mouiller la chemise » correspond à cette réalité.

Bien entendu, avant l’action de presser sur la détente, il se passe beaucoup de choses. Généralement, outre la réunion obligatoire, l’heureux élu par le tirage au sort doit reconnaître le terrain et autant que possible repérer sa bête. Il doit être en possession d’une très bonne optique, jumelles et longue-vue. C’est essentiel pour déterminer le bon animal, car ce n’est pas toujours évident. Enfin, il faut avoir à ses côtés un accompagnant pour ramener tout, en bon ordre, à la voiture. Des chiens de rouge confirmés sont engagés pour contrôle de tir et recherche éventuelle.

Trophées

Plusieurs chasseurs m’ont fait cette réflexion : « Si je m’inscris pour le bouquetin, c’est essentiellement pour ramener une paire de cornes. On fait ça une fois dans la vie. » N’oublions pas non plus le cadre grandiose et l’ambiance parfois magique d’une expédition dans ces lieux escarpés. La fascination pour les grandes cornes a toujours existé, et cette possession représente pour beaucoup un précieux souvenir. La venaison n’est pas leur motivation première, et il faut admettre que chacun a sa propre conception des choses. D’ailleurs, le trophée n’est pas l’apanage des chasseurs puisque je connais des gueules impressionnantes de brochet dans le carnotzet de certains pêcheurs. De même, les chercheurs de mues de cerf, de plus en plus nombreux, entrent aussi dans cette catégorie.

Le droit de participer à cette chasse est fixé à 200 francs. L’Etat encaisse un émolument de 200 francs pour les mâles de 5 à 7 ans et de 400 francs pour la catégorie de 8 à 9 ans. Ce mode de faire n’a jamais, à ma connaissance, donné lieu à des polémiques.

En résumé, si la chasse au bouquetin ressemble pour beaucoup à un simple « tire-pipe », elle représente pourtant un engagement conséquent et une collaboration nécessaire du chasseur dans la gestion de l’animal qui, grâce à tant d’efforts, a retrouvé sa place dans nos montagnes, après une absence de plus d’un siècle.

Sources : documents de F. Hofmann, chef de la section Chasse, pêche et surveillance à la DGE, et des collègues
M. Cathélaz et J.-C. Roch qui sont remerciés pour leur précieuse collaboration.

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