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IL Y A CINQUANTE ANS GENÈVE INTERDISAIT LA CHASSE

IL Y A CINQUANTE ANS GENÈVE INTERDISAIT LA CHASSE
Les chasseurs genevois n’oublieront jamais le 19 mai 1974, date de la votation populaire qui a mis un terme à l’exercice de la chasse par les chasseurs sur le territoire cantonal.

Texte d’Alain Rossier

Dans les années 1960, l’état de certains milieux naturels s’est dégradé, comme l’eau des rivières et des lacs de plaine. Un mouvement a été lancé pour que la Confédération prenne au sérieux cette situation et c’est ainsi qu’il a été décidé de « baptiser » l’an 1970 « année de la nature » !

Ce trop beau tremplin n’a pas manqué de donner de l’élan à certains, notamment ceux qui voulaient faire supprimer la chasse à Genève. Profitant d’un contexte favorable à leurs idées, les milieux dits de protection de la nature (Ligue suisse pour la protection de la nature, WWF, Société protectrice des animaux, CADAP) ont lancé une initiative sous l’égide de l’Union nature-faune (comité d’initiative pour la suppression de la chasse), et ont récolté les signatures nécessaires pour faire passer leur projet en votation.

Sunir pour lutter

Dès l’annonce du dépôt de cette initiative, qui demandait purement et simplement l’abolition de la chasse à Genève, les quatre sociétés cynégétiques existant à Genève, « Les Nordistes », les chasseurs d’« Arve et Lac », la « Saint-Hubert de Genève » et une petite société urbaine dont faisait partie M. Dante Fraguglione – alors rédacteur en chef de la Revue Diana – se sont mobilisées pour tenter de contrer les opposants de la chasse à Genève.

Il a bien sûr fallu trouver des fonds pour porter le message dans la presse. Diana Suisse avait alors versé trois mille francs dans la caisse des chasseurs, qui avaient réuni au total treize mille francs pour leur campagne. Un « pavé » publicitaire coûtait déjà quelque sept cents francs dans la Tribune de Genève. Le quotidien cantonal avait visiblement pris fait et cause en faveur de la suppression de la chasse.

Par ailleurs, tous les chasseurs actifs du canton n’ont certainement pas pris conscience de l’importance de cette lutte. Quelques-uns ont même pris une position regrettable relevant : « Mon plan de chasse annuel est déjà réglé, advienne que pourra, je chasserai tout de même ailleurs ! »

Une délégation des quatre sociétés s’est réunie de nombreuses fois pour développer un argumentaire. Et plusieurs chasseurs ont été entendus par des membres du Grand Conseil, mais aussi par le conseiller d’État en charge du Département. Ces contacts politiques ont été sérieux, intéressants et positifs. Mais leur impact est probablement resté limité.

Largumentaire des opposants

Sans insister sur les arguments habituels invoqués par les initiateurs, le texte déposé citait notamment la chasse « comme une distraction cruelle, dangereuse et inutile, qui n’a pour but actuellement que d’occuper les loisirs de cinq cents citoyens et qui n’a plus aucune raison économique et vitale. De plus, il nous paraît utile de protéger la faune et la flore actuellement en danger de disparition dans notre canton, le repeuplement en gibier, aux dires même des chasseurs, n’étant quantitativement pas même suffisant à leurs besoins.» Ils réfutaient la nécessité de réguler certaines espèces susceptibles de causer des dégâts aux cultures. Et imaginaient que l’on pouvait simplement protéger celles-ci par la pose de clôtures, par des effarouchements répétés ou encore par la délocalisation des fauteurs ! « L’exercice de la chasse dans le canton de Genève est de plus en plus l’objet de critiques dans le public » relevait encore l’Association genevoise pour la protection de la nature (AGPN devenu Pro Natura Genève) qui comptait alors 3500 membres. La lutte était inégale.

Un contre-projet réaliste

À ces arguments, l’État a proposé un « Projet de loi à la Commission cantonale de contrôle de la faune », qui est devenu « le contre-projet de l’État » opposé à l’initiative et proposé lors de la votation. L’exposé des motifs, que M. Jean-Claude Dériaz avait exposés au Grand Conseil, était le suivant : « 555 chasseurs en 1971 sur 140 km2 de territoire chassable une population dépassant 330 000 habitants, soit quatre chasseurs au km² pour 2400 habitants. La densité est excessive et de nombreux incidents, heureusement pas trop graves encore, ont été relevés. La chasse du jeudi, jour de congé des écoles, pouvait être un danger potentiel. Celle du dimanche avait été supprimée ! Le nombre des chasseurs et l’exigüité des surfaces chassables ont engendré des repeuplements en lièvres, en faisans et en perdrix. Les chasseurs payent cela, c’est vrai, mais d’un autre côté, ils heurtent le public. À l’heure actuelle, c’est la Commission de la chasse qui jouit des prérogatives les plus étendues pour gérer l’exercice de la chasse. Aucune représentation des milieux de protection de la nature et des milieux scientifiques n’a été prévue officiellement depuis 1953. La proposition de l’AGPN est de remplacer cette commission par une commission de contrôle de la faune, où les milieux de la protection et de la science soient équitablement représentés aux côtés des agriculteurs, tandis que les chasseurs seront cette fois minoritaires comme ils le sont de fait. C’est donc une chance qui est donnée d’éviter une suppression de la chasse, sans préjuger d’ailleurs de la volonté populaire qui pourrait l’imposer un jour ou l’autre.»

Le peuple a tranché

Le jour de la votation, les Genevois ont globalement boudé les urnes, puisque seuls 21 % de l’électorat s’est déplacé pour cet unique objet cantonal.

La sanction est tombée : 25 642 voix ont accepté l’initiative, alors que 10 747 l’ont refusée. Le contre-projet proposé n’a pas non plus convaincu les votants, puisqu’il a été rejeté par 10 588 non, contre 4466 oui.

C’était une première en Suisse. « Nous allons enfin pouvoir nous promener en forêt l’automne sans avoir à craindre les tirs des chasseurs », se sont exclamés les gens de ville !

Le chef du Service des forêts, de la chasse et de la pêche, M. Eric Matthey, avait écrit plus tôt dans un rapport : « Il n’est pas certain que la chasse puisse continuer de très nombreuses années sur le territoire du canton, non pas tant parce que les terrains chassables auront tous disparu, mais parce qu’il n’est pas exclu qu’un mouvement d’opinion assez puissant la fasse proscrire. Ce qui n’entraînera pas, d’ailleurs, une diminution de la surveillance et nécessitera d’autres interventions.» Il ne croyait pas si bien dire !

La déception des chasseurs genevois attachés à leurs territoires a bien sûr été considérable, surtout pour ceux qui s’étaient organisés en petits groupes locaux, passionnés de chasse aux lièvres. Jusque-là, c’était la quête du petit gibier qui était la plus pratiquée dans le canton. Faisans, perdrix, canards et pigeons ramiers faisaient plaisir aux propriétaires de chiens d’arrêt. Pour le gros gibier, le sanglier était encore rare, le chevreuil hantait quelques massifs forestiers et le prélèvement annuel ne dépassait que rarement les douze à quinze animaux.

Un résultat, et des conséquences

Les conséquences de ce scrutin ne se sont pas fait attendre, à commencer par l’augmentation de la population des lièvres dans les régions maraîchères du canton. Deux ans après l’interdiction, leur régulation est devenue nécessaire. Plus tard, les grandes cultures de maïs ont attiré les sangliers, qui ont trouvé une source de nourriture facile et abondante. Leur régulation est maintenant la règle et ce sont entre 200 et 450 suidés qui sont tirés annuellement, de nuit, par les surveillants de la faune.

Depuis dix ans, les chevreuils font beaucoup parler d’eux dans les vignobles et certaines cultures fruitières. Une vingtaine d’animaux sont désormais enlevés chaque année dans les parcelles les plus touchées.

Récemment, une importante harde de cerfs a saccagé des terres agricoles pendant l’hiver sur la commune de Versoix, impactant également le rajeunissement de la forêt par l’abroutissement. Une situation qui a imposé aux autorités d’ordonner le prélèvement de vingt-cinq bêtes entre le 1er décembre 2023 et le 31 janvier de cette année. Le plan de tir a été réalisé et la venaison a été préparée et commercialisée par une boucherie de la place.

Et ça continue

Cette récente décision de régulation des cerfs à Genève n’a pas plu à tout le monde et les protecteurs genevois des animaux ont déposé une motion intimant à l’État de tenter une stérilisation des laies et des biches par le biais d’un vaccin contraceptif, le GonaCon (imuno-contraceptif). Testée aux USA sur une population de cerfs de Virginie, en traitant le 65 % des femelles avec deux injections, cette méthode a démontré ses limites (ou son inefficacité), puisque la population initiale de 113 animaux, est passée à 198 trois ans plus tard et à 342 cinq ans après ! Avec des injections à 2000 dollars chacune, la mesure peut poser question.

À relever encore que la Fédération cynégétique genevoise (FCG) qui, grâce à l’engagement des chasseurs genevois a réussi à perdurer depuis 1974, s’est avancée pour mettre ses membres au service de l’État en formant des « volontaires nature » à l’image des gardes auxiliaires dans les autres cantons. Les esprits chagrins n’ont pas manqué de s’y opposer, promettant un « probable » retour de la chasse. Résultat, après deux ans, les volontaires inscrits se sont vus remerciés. Dommage pour l’État qui aurait pu trouver une précieuse aide auprès de passionnés.

Aujourd’hui, l’exemple genevois est régulièrement avancé par les milieux anti-chasse comme un exemple à suivre, même si la pratique démontre qu’il n’est pas applicable dans d’autres cantons.

Quelques années après la fin de la chasse à Genève, une initiative anti-chasse a été largement rejetée dans le canton de Vaud. Plus récemment, l’électorat zurichois a aussi refusé de remplacer les chasseurs par les gardes-faune, démontrant que le cas genevois ne fait heureusement pas école.
La campagne genevoise, densément peuplée, où la chasse par les chasseurs est prohibée depuis 1974. 

 

 

LES CHASSEURS GENEVOIS TOUJOURS ACTIFS

Malgré l’interdiction de la pratique de la chasse par les chasseurs à Genève, la Fédération cynégétique genevoise (FCG), issue des sociétés d’avant la votation, continue à informer l’opinion publique sur les conséquences de la votation de 1974.

Texte et illustrations d’Hervé Siegrist

Cinquante années ont passé depuis l’acceptation de l’initiative qui a enterré la pratique de la chasse par les chasseurs sur le canton de Genève. Le rôle de la FCG et des chasseurs qu’elle représente est dorénavant de défendre, de promouvoir la pratique de la chasse comme étant éthiquement et écologiquement responsable.

Cadre réglementaire
La FCG est en contact permanent avec les Autorités cantonales à travers le siège qui lui est accordé au sein de la CCDB (Commission consultative de la biodiversité biologique).
Celui-ci est actuellement occupé par l’auteur de cet article, également présent dans la Sous-commission de la faune. La CCDB reporte directement au Conseil d’Etat et au conseiller d’Etat de tutelle, actuellement le Vert Antonio Hodgers. 

La CCDB est consultée et préavise sur tous les projets susceptibles d’avoir une incidence sur la biodiversité. Composée de vingt membres nommés pour une durée de quatre ans, elle doit inclure des représentants des milieux de la protection des animaux, de la nature, des milieux forestiers, agricoles, des communes genevoises, des partis politiques siégeant au Grand Conseil, de la pêche et du milieu cynégétique ainsi que de deux experts ou techniciens. Le support technique et scientifique de l’HEPIA (HES-SO, Gestion de la nature) est régulièrement sollicité.

Gardiennage bien doté
La régulation étatique a donc pris la place de la chasse sous la responsabilité de l’OCAN (Office cantonal de l’agriculture et de la nature). Les gardes chargés de la régulation sont actuellement au nombre de treize. Une bonne moitié d’entre eux est titulaire d’un permis de chasse dans un autre canton. Tous sont spécifiquement formés pour cette tâche de régulation et régulièrement entraînés au tir.

Comme l’indique la Loi cantonale sur la faune, la régulation ne peut intervenir qu’après épuisement des mesures préventives pour parer aux dommages ou risques graves.
La FCG suggère systématiquement (comme le permettrait la Loi faune de 1993) que des tiers autorisés puissent agir comme partenaires et contribuer à la régulation (autre que celle des corneilles, freux, bisets et ramiers déjà possible), mais le support politique est malheureusement absent. Le sujet est une ligne rouge qu’aucun parti politique n’est prêt à franchir.

evolution du nombre de gardes

Dégâts et régulation
Les statistiques des dégâts engendrés par la faune sont particulièrement éloquentes.
Début des années 2000, le sanglier était de très loin l’espèce générant le plus de dégâts (+ 95 % en 2001).
Une régulation déterminée depuis 2002 permit de contenir les dégâts à des niveaux supportables dès les années 2004 / 2005. Depuis 2018, la courbe des dégâts repart fortement à la hausse, actuellement plus des deux tiers des dégâts sont imputables aux oiseaux (pigeons et corvidés).

statistiques des dégâts engendrés par la faune

Dynamique des populations
Partout en Suisse et dans les régions avoisinantes, il a été observé depuis 1974 un effondrement des populations de petit gibier sédentaire (excepté le lièvre avec des densités entre 10 et 23 individus pour 100 hectares sur certaines zones) et une progression fulgurante du grand gibier, situation confirmée par ceux qui ont chassé à Genève avant 1974. Les prélèvements annuels de sangliers et de chevreuils n’atteignaient qu’une petite dizaine par année et par espèce.
Pour la période d’observation la plus récente, les tirs effectués par les gardes sur l’espèce chevreuil sont montés à 25 (individus désignés comme « spécialistes » causant des dégâts importants au vignoble). Les populations pouvant aller jusqu’à 56 individus au km2 (Bois de Jussy, quart sud-est du canton, frontalier avec la Haute-Savoie). Pour le sanglier, 480 bêtes ont été tirées, dont 250 uniquement dans la région de Jussy (juillet 2023 à mars 2024).

statistiques tir chevreuil et sanglier

Le cerf est également en densité record (+ 30 au km2) dans la région de Versoix - Collex (frontalière avec Vaud et l’Ain) et un début de régulation (25 biches et faons) a débuté l’hiver dernier. Les dégâts aux cultures sont quelque peu maîtrisés grâce aux dispositifs de protection mis en place systématiquement. Cependant le couvert forestier est particulièrement mis à mal par cette surdensité.

Même si les milieux cynégétiques regrettent la décision de 1974, nous avons appris depuis maintenant cinquante ans que le « modèle » genevois a ses limites :

  • Son coût est important et cette variable le rendrait difficile à exporter dans d’autres cantons (ou régions) d’une superficie plus importante. 
  • Interdiction de la chasse = fonctionnarisation de la chasse. Refus d’utiliser les compétences des chasseurs.
  • L’interdiction de la chasse ne signifie pas la fin de la mise à mort d’animaux. Plus de 500 mammifères ont été tirés depuis juillet 2023 sur le canton. 

Il est important que la FCG poursuive son rôle de sentinelle et informe le public avec objectivité. Les chasseurs genevois ont la volonté de jouer un rôle dans cette problématique, leurs compétences parlent en leur faveur.

 

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