A l’école du sanglier

A l’école du sanglier

L’ENCLOS D’ACCOUTUMANCE AUX SANGLIERS D’HEURÜTI PERMET DE FORMER LES CHIENS DE CHASSE. REPORTAGE AU SEIN DE L’UNIQUE SITE SUISSE DU GENRE.

Schwarzwildgewöhnungsgatter… Qu’est-ce qui peut bien se cacher derrière un mot si compliqué ? Tellement bizarre que même les traducteurs électroniques en restent pantois… vingt-sept lettres, un alphabet tout entier dans un seul mot ! Avec anticonstitutionnellement, la langue française n’entre même plus en compétition.

Mais ne nous leurrons pas, même pour nos voisins et amis germanophones, la longueur est de trop, ils ont donc trouvé un raccourci pour baptiser le concept : SWGG. Pour faire simple, nous parlerons d’enclos d’accoutumance aux sangliers.

Dix ans pour un enclos

Il est toujours difficile d’écrire un troisième article sur la question ! Je profite de la dernière place du podium pour faire passer ma vision, celle d’un bécassier latin, également responsable de la Commission chiens du canton de Neuchâtel. C’est avec ces deux casquettes que je m’exprime.

Lorsque j’ai eu connaissance de l’obligation de mettre en place un tel enclos, la crainte des coûts engendrés par la construction d’une part, et l’entretien d’autre part, m’ont tout de suite suggéré que chaque canton ne pourrait pas avoir son « enclos d’accoutumance aux sangliers », crainte que j’ai partagée d’ailleurs. Très certainement n’ai-je pas été le seul à faire des calculs ; la mise en place d’un seul enclos au niveau suisse presque dix ans après que la loi en ait imposé l’existence prouve que mes peurs initiales étaient fondées.

Qu’on accepte l’idée ou qu’on la refuse, la loi est claire : les chiens de chasse doivent suivre une formation. Aujourd’hui, c’est possible, l’enclos existe bel et bien grâce au dévouement d’un groupe de travail (Evelyne Küpfer, Jean A. Vuilleumier, Hans-Jörg Blankenhorn et Mario Manhart) qui a pris le taureau par les cornes ou plutôt le quartanier par les défenses et la défense du chien. A mon sens, on ne peut que les féliciter d’avoir effectué ce gros travail et surtout de l’avoir fait avec un soin particulier.

Site isolé

Lorsqu’on arrive dans une ferme le long de la route « Heurüti » peu après avoir quitté Elgg, on ne voit rien, on ne se doute de rien ! Il y a des chevaux, il y a bien un parc avec des daims, mais de sangliers visibles, point ! Une image de chien de chasse confirme toutefois le chemin du GPS. Elle nous assure d’être arrivés à destination. Un escalier boisé nous conduit, au travers d’une agréable odeur de foin, directement au bureau d’inscription. L’enclos est discrètement installé sur la colline boisée au-delà des champs.

La qualité des matériaux utilisés m’a frappé de prime abord ; il n’y a pas de bricolage, tout a été pensé et conçu dans un souci de fiabilité et de durée. Les grillages des parcs intérieurs sont renforcés par des planches de chêne sur 60 cm dans la partie basse. Les grillages sont doublés. En effet, un chemin d’environ 1 m de large permet de faire le tour des parcs sans y entrer et il est lui-même flanqué de la double barrière.

Aucun matériau de récupération pour ces portails, ils sortent tous de la zinguerie et sont sécurisés par un système de fermeture sophistiqué, de plus, bloqués par un cadenas. Être au paradis est peut-être un peu fort, mais en tout cas saint Pierre est bien présent avec un trousseau de clés généreusement pourvu. Il nous fait visiter l’enclos, passant d’un parc à l’autre, distribuant force pommes et autres friandises aux « bêtes noires » qui accourent dès qu’elles comprennent qui entre. J’espère qu’elles se comporteront moins familièrement avec les chiens.

Ces animaux proviennent d’élevages ou de zoos de Suisse, ils sont nés en 2018 et ont donc un an et demi actuellement. Ils passeront leur existence choyés et bichonnés dans les parcs SWGG avec, pour principale occupation, celle de former les chiens de chasse des chasseurs confédérés.

Exercices variés

Aucun contact n’est possible dans cet endroit, les sangliers vaquent à leurs occupations dans un corridor. Le chiot et son conducteur se déplacent à l’extérieur ; un grillage sépare et empêche les contacts directs. Le chiot peut prendre connaissance du gibier recherché, il peut s’y habituer, prendre son odeur, son allure et montrer son intérêt. Je suppose que c’est le vœu le plus cher de celui qui acquiert un chien pour rechercher les sangliers.

Deux parcs (Arbeitgatter 1 et 2) permettent de travailler en longe avec un chien plus âgé, on dira adolescent. La couverture végétale est présente sans pour autant entraver la visibilité. Il est donc possible de suivre le travail de son chien tenu en longe et de voir la réaction des sangliers. Il est en effet important que le chien comprenne que le gibier chassé n’est pas seulement un animal de fuite, mais peut se retourner et charger son poursuivant. Il devra donc apprendre à faire preuve de prudence dans ses approches et respecter une distance de sécurité. C’est bien la volonté du législateur qui a voulu empêcher les combats entre animaux.

Dans le quatrième parc (Stöbergatter) se joue la dernière étape avec un chien formé, lâché, qui doit trouver et forcer à la fuite les sangliers. Dans cet endroit, la végétation est plus épaisse et suivre des yeux la chasse n’est pas toujours possible. Les aboiements du chien permettent le suivi.

Un vrai concept de formation

En discutant avec Urs Schmid, responsable des lieux, j’ai apprécié le concept de formation et, surtout, le concept d’évaluation, davantage basé sur la formation que sur l’examen. Si le chien travaille correctement de manière instinctive à chacune des étapes de sa formation, il est reconnu comme formé. S’il doit refaire une étape, il la refait jusqu’à ce que son expérience soit suffisante. Il est dès lors de la responsabilité de son conducteur de donner les moyens à son chien d’obtenir cette fameuse expérience qui fait la différence.

Si, en tant que puriste et utilisateur du chien d’arrêt uniquement dans la fonction pour laquelle il a été sélectionné, la recherche d’oiseaux sauvages, je regrette que des chiens d’arrêt soient introduits et formés dans ces parcs, je suis bien obligé d’accepter l’idée que chacun a le droit d’utiliser son chien comme bon lui semble. Si des chasseurs pensent que leur drahthaar représente le meilleur auxiliaire pour chasser le sanglier ou que leur braque hongrois est un chien idéal pour rechercher un gibier blessé, ils pourront former leur chien dans ces parcs en toute sécurité. Maintenant, en étant tout-à-fait objectif, je pourrais aussi accepter l’idée qu’un pointer travaille dans cet enclos avec l’idée de le rendre prudent sur les « bêtes noires » afin d’éviter les blessures lors de la chasse. Toutefois, mon expérience avec mes setters Gordon me prouve qu’instinctivement nos chiens d’arrêt craignent les sangliers et font preuve de grande prudence en les arrêtant.

 

Texte Henri-Armand Meister  |  Photos DR

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