Les blondes, les brunes et les noires

Les blondes, les brunes et les noires

Champignon mythique par excellence, la morille se décline en plusieurs sous-espèces. Sa saison peut commencer dès le mois mars, mais elle peut se prolonger jusqu’en juin, notamment en montagne.

Texte d’Isabelle Caruzzo

En février, avec la floraison des premières primevères, pâquerettes et tussilages, j’ai cru que le printemps frappait déjà à ma porte. Les jours suivants me rappellent que l’hiver n’est pas loin. En cette fin d’après-midi au bord du Rhône, le soleil couchant transforme le fleuve en un long lacet gris métallisé, les herbes sèches tremblent sous une brise fraîche qui me fait remonter le col de ma veste, mon chemin croise celui d’un pêcheur qui lance sa ligne à l’embouchure de la rivière communale. Je m’approche :

– Ça mord ?

– Pas encore, au début du printemps elles sont farouches et se cachent, mais cela fait du bien d’être dehors même si il fait encore un peu frais…

Après quelques mots échangés, je reprends ma balade et ma quête en pensant que les disciples de saint Pierre et les mycologues ont des points communs en ce début mars, les jambes qui fourmillent, les besaces et les paniers prêts, ce besoin de grand air, eux pour pêcher les plus belles truites et nous pour débusquer les premières morilles qui sont connues pour pousser là où on ne les attend pas.

Les indices

Les stations de morilles, celles que l’on appelle pérennes que les passionnés retrouvent d’année en année, aiment les lieux où les apports en sucre sont réguliers. La morille a une affinité prononcée pour le glucose contenu dans la sève de certains arbres. Il faut être attentif à tout ce qui peut causer des blessures aux racines, par exemple les monticules laissés par les taupes qui creusent des galeries, les trous faits par des rongeurs qui signalent une activité souterraine. Il faut noter aussi les exigences impérieuses de ce champignon pour les sols calcaires, des conditions climatiques idéales, soit gel hivernal, fonte des neiges, chocs thermiques, ensuite adoucissements. Ces facteurs ont une influence sur la forme et la couleur des chapeaux. Ces morilles associées à des essences végétales fructifient hâtivement au moment de la remontée de la sève, en mars, avril.

Trouver la bonne essence

Le frêne, ne le cherchez pas au fond des forêts, il aime la lumière et les friches. On le reconnaît facilement au début du printemps grâce à ses bourgeons noirs qui sont implantés par paires et à ses grappes de fleurs sombres, il vit en symbiose avec les morilles. Le merisier est aussi propice à la morille, ancêtre de notre cerisier cultivé, il aime les sols riches en humus, ses fleurs blanches sont très mellifères, c’est lorsqu’elles apparaissent qu’il faut partir en cueillette. Les vieux pommiers des vergers abandonnés, les noisetiers, les érables, ainsi que les pruneliers, à cause des supports inertes qui renferment du fructose, sont aussi des sites favorables. Le lierre terrestre, les pensées et les violettes des bois annoncent encore la présence de notre cher carpophore. Les anciens murs de vigne, les mayens en ruine, parfois les décombres et les composts abritent ce champignon d’exception.

Les furtives

Puis viennent les colonisatrices, celles qui apprécient les stations perturbées par l’activité humaine, c’est-à-dire les fouilles, les terrassements, les traces faites par des engins forestiers lourds, les inondations, les avalanches, les incendies et les places de feu, les coupes de bois, les copeaux de pins broyés utilisés pour les aménagements autour des maisons, des parcours sportifs et des parcs. Ces morilles poussent à la montée des températures fin avril, mai, juin, parfois en grande quantité et ne réapparaîtront pas l’année suivante.

Les pérennes

Morchella vulgaris, elle, a un chapeau difforme, parfois en boule de couleur gris cendré à gris noir avec des alvéoles labyrinthées, des côtes souvent mal formées, saupoudrées de blanc, un pied blanc parsemé de taches rouillées dans la vieillesse, creux comme celui de presque toutes les morilles. C’est la plus courante et aussi la plus changeante en nuance de couleur. On la trouve sous frêne, lierre, orme, jamais dans les forêts denses mais plutôt en clairières, elle peut former des ronds de sorcière.

Morchella rotunda ou morille blonde, chapeau sphérique d’où son nom, avec des alvéoles amples, évasées vers l’extérieur, obscures dans le fond. Des côtes épaisses, fragiles, irrégulières plus pâles. De couleur fauve ochracé pour finir orangé à cause de la sporée importante. Le stipe est assez trapu avec une vallécule, petite membrane, le séparant nettement du chapeau. Son aspect général fait penser à une éponge. C’est un comestible réputé, sous taillis avec herbes fines, lieux humides, dans les vergers.

Morchella rotunda esculenta, proche de sa cousine, elle possède un chapeau brun jaune, rond, des alvéoles globuleuses, des côtes blanchâtres, un pied blanc sale et difforme avec une vallécule sommitale peu marquée, elle peut devenir très grande jusqu’à 25 centimètres. Son écologie, le long des haies, sous les chênes, les noisetiers, dans les prés en lisière de bois. D’avril à mai.

Morchella conica est rare, chez nous ce serait plutôt la Morchella intermedia qui possède un chapeau piriforme de couleur très claire à sa sortie de terre puis gris foncé et enfin brun sombre. Ses côtes sont rectilignes, concolores aux alvéoles, puis noires avec l’âge. Le pied est sillonné, granuleux, évasé en haut, crème sale, toujours inférieur à la hauteur du chapeau. Ses hôtes principaux, les pins et épicéas, les vieilles forêts, elle n’apprécie pas la compétition, on la trouve souvent sur sol nu. Elle est précoce en basse altitude (février, mars) mais en montagne elle vient jusqu’en juin après la fonte des neiges et semble adaptée aux basses températures. Apparition massive sur les coupes de bois du printemps et de l’été précédent. Présente aussi dans les zones brûlées après plusieurs
années.

Morchella costata, brun, fauve olivâtre avec des côtes rectilignes verticales, ressemble à la précédente mais son habitat se situe plutôt dans les jardins, les vergers, les détritus, les décombres. Morchella hortensis vient aussi dans les mêmes biotopes, et bien qu’il ne soit pas prouvé qu’elle accumule les substances telles que les pesticides et herbicides, on recommande la plus grande prudence pour la consommation de cette morille.

Les colonisatrices

Morchella elata, chapeau conique allongé, brun clair, fauve olivâtre, alvéoles bien alignés, ressemble à un tricot, côtes plus foncées, stipe blanc granuleux et court, elle n’a pas de vallécule. Elle est uniquement colonisatrice sur écorce de conifères, coupe de bois, remblais, en plaine comme en montagne, en grand nombre. Elle est tardive dans la saison.

Morchella eximia, chapeau élancé, ovoïde, stipe blanc atténué à la base, côtes noircissant rapidement comme toutes les morilles des places de feu.

Morchella atrotomentosa, ce spécimen très noir est rare, pied et chapeau de couleur identique, elle a été récoltée en grande quantité après l’incendie du bois de Finges.

A noter aussi le morillon qui a un petit chapeau par rapport au pied et porte des côtes longitudinales, brun miel à brun vert, peut mesurer vingt centimètres, aime les taillis clairs et humides, l’herbe près des peupliers. C’est un comestible.

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Catégories