LE SANGLIER EN SUISSE, RETOUR EN FORCE. À LA BONNE HURE…

LE SANGLIER EN SUISSE, RETOUR EN FORCE. À LA BONNE HURE…
Depuis 1990, les effectifs du sanglier ont explosé, si bien que l’espèce peuple
désormais toute la Romandie, de l’Arc jurassien au Bas-Valais en passant par le
Plateau et les Préalpes. Cela ne va pas sans créer des conflits avec l’agriculture.
Texte d’Alexandre Scheurer
La réapparition du sanglier en Suisse au début du 20e siècle, et son récent essor (voir encadrés), sont dus à plusieurs facteurs. A l’origine, ce retour a été permis par la persistance de populations de suidés en France et en Allemagne voisines. Puis, dès les années 1970, le développement de la culture du maïs dans notre pays a joué un rôle capital en lui fournissant le gîte et surtout un riche couvert. Simultanément, l’augmentation de la surface forestière et du nombre de feuillus a entraîné une profusion de glands et de faînes. Dès les années 1990, le réchauffement climatique, avec ses hivers et ses printemps cléments, a réduit la mortalité hivernale des sangliers et a favorisé la survie des marcassins. L’agrainage par les chasseurs a aussi bénéficié à l’espèce, de même que – jusqu’à récemment du moins – l’absence de grands prédateurs (loup).
Mais encore, le suidé a profité de sa forte fertilité (cinq à dix marcassins par laie chaque année), de sa grande mobilité, et de capacités d’adaptation hors du commun, dues en partie à son régime omnivore. Ainsi, parmi nos grands mammifères, il est le seul à connaître une telle hausse de ses effectifs, et à prospérer aussi bien dans les régions sauvages et accidentées de montagne que dans les zones humides de plaine, dans les cultures, et même aux portes de nos villes ! Seuls la sécheresse, le gel et un fort enneigement hivernal semblent le freiner.

 

Trous de cochon / Tours de cochon
Une telle expansion ne serait pas problématique si elle ne s’accompagnait de dégâts importants – et souvent croissants – à l’agriculture. Ceux-ci affectent en premier lieu les espaces cultivés du Plateau: champs de céréales (maïs et blé), de colza, de pomme de terre, de pois, etc. Une des régions les plus touchées est la rive sud du lac de Neuchâtel avec sa mosaïque de cultures, de bois et de marécages souvent classés réserves. Les sangliers y vont nuitamment se nourrir dans les champs proches du lac, avant de se retirer pour la journée dans les forêts riveraines et les roselières. Ainsi, pour les seules cultures jouxtant la rive sud, avec l’augmentation des effectifs de sangliers, la facture annuelle aurait plus que doublé entre 2008 et 2011, passant d’environ 70 000 à 150 000 francs (Fribourg et Vaud), et ce malgré une pression de chasse élevée qui voit tirer jusqu’à cent cinquante sangliers certaines années !

Même à la montagne, les pâturages n’échappent pas au groin du sanglier. Dans le Jura et les Préalpes, ils sont
labourés méthodiquement par des cochons sauvages en quête de bulbes, racines, lombrics, larves et autres rongeurs. Selon Damien Granger, agriculteur à Troistorrents dans le Chablais valaisan: «Ces dégâts et le travail qu’ils entraînent sont démoralisants. En bouchant les trous, on sait déjà qu’il faudra recommencer, parfois dès le lendemain, car les bêtes repassent souvent au même endroit. Et ensuite, ces trous profonds de 10 à 15 cm se remplissent de mauvaises herbes. On est obligés de les arracher pour ne pas voir la qualité de l’herbage diminuer. Au final, il faut attendre une année entière pour que le terrain se remette. Pendant ce temps, le pâturage est perdu.» Le paysan de montagne renonce même à engraisser les zones proches de la forêt, car il a constaté que les sangliers sont attirés par les pâturages les plus gras : «Ces cochons ne labourent pas les lisières de forêt, plus maigres, mais les meilleurs prés !» Damien ne réclame pas d’indemnisation, cela ne lui paraît pas valoir la peine. L’agriculteur relève enfin : «Depuis deux ans, curieusement, nous n’avons plus de dégâts de sangliers.» Après en avoir parlé avec des chasseurs, il s’interroge : «C’est peut-être parce que le loup rôde désormais dans la région…» Plusieurs spécialistes doutent toutefois de l’impact du canidé sur les effectifs du sanglier en l’état actuel. Mais cette relation interspécifique
mériterait d’être suivie à l’avenir.
Une chasse ardue
La chasse est évidemment la première réponse à la prolifération du sanglier et aux dégâts que celle-ci entraîne. Mais cette traque s’avère ardue, car le sanglier est un animal fort intelligent. Durant la chasse (automne et hiver), il sait se réfugier dans les réserves dont il connaît parfaitement les limites. Son art de la dérobade force le respect : par grands froids, l’auteur de ces lignes a pu constater qu’il est capable de profiter de la pause de midi des bûcherons pour aller récolter des faînes sur un chantier forestier, à peine les ouvriers partis ; ou de labourer les bords d’un chemin enneigé entre le passage des randonneurs à skis, en plein après-midi ! De plus, la bête noire, diurne à l’origine, est devenue nocturne pour mieux échapper à l’homme. Son odorat et son ouïe sont presque infaillibles, et le moindre bruit suspect – armement d’une culasse ou déverrouillage du fusil – suffit à l’alerter. La forte structure sociale de l’espèce explique aussi les difficultés de sa chasse, car elle permet le développement d’un savoir collectif dans les hardes, notamment à l’égard du danger.
Si la chasse à l’affût reste très aléatoire – une cinquantaine d’heures peut s’écouler avant qu’un sanglier ne passe à portée de fusil –, les battues avec des chiens spécialement formés pour lever et poursuivre le gibier offrent de bien meilleurs résultats. Ainsi, sur la rive sud du lac de Neuchâtel, entre Yvonand (VD) et Cheyres (FR), en janvier 2012, trente sangliers ont été tirés en une seule journée grâce à neuf chiens leveurs de gibier et une soixantaine de chasseurs et de gardes ! Auparavant, plusieurs battues sans chiens spécialisés n’avaient donné que de piètres résultats, voire des bredouilles.

De telles battues auraient aussi un effet dissuasif et permettraient de réduire les dégâts.

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