LE  RETOUR  DES COMPTAGES DU TÉTRAS LYRE DANS LE CANTON  DE VAUD

Interrompus en 2023 à la suite de l’interdiction de la chasse au tétras lyre dans le canton de Vaud, les comptages estivaux de ce galliforme emblématique ont repris grâce à l’initiative d’un groupe de chasseurs et d’amateurs de chiens d’arrêt. Objectif : déterminer l’indice de reproduction de l’espèce pour mieux la suivre et, qui sait, espérer un jour pouvoir à nouveau la chasser de manière raisonnée.

Texte et photos de Vincent Gillioz

Interrompus en 2023 à la suite de l’interdiction de la chasse au tétras lyre dans le canton de Vaud, les comptages estivaux de ce galliforme emblématique ont repris grâce à l’initiative d’un groupe de chasseurs et d’amateurs de chiens d’arrêt. Objectif : déterminer l’indice de reproduction de l’espèce pour mieux la suivre et, qui sait, espérer un jour pouvoir à nouveau la chasser de manière raisonnée.

Il est 7 h 30 au lac des Chavonnes, dans les Préalpes vaudoises. Une trentaine de volontaires est prête à se répartir sur les différents secteurs de comptage. Il s’agit d’identifier les jeunes de l’année – les pouillards – afin de calculer l’indice de reproduction du tétras lyre.

Ces comptages, essentiels à la gestion de l’espèce, avaient été interrompus suite à la révision de la directive vaudoise sur la chasse. « Certains chasseurs, déçus par l’interdiction, ne voyaient plus l’intérêt de poursuivre, raconte Jean-Frédéric Sierro, président de la Société des chasseurs aux chiens d’arrêt vaudois (CCAV). Il a fallu convaincre que, chasse ou pas, notre rôle dans la préservation de la faune restait fondamental.»

Mobiliser n’a pas été simple. Mais avec l’appui de José Carrillo (CCAV) et de Luc Jacquemettaz, garde-faune, cinq journées de comptage ont pu être organisées en août, réparties sur trois secteurs chacune.

Un terrain exigeant, des chiens exceptionnels

Je rejoins l’équipe de Luc Jacquemettaz et de Michel Buchwalder, récent vice-champion d’Europe de concours sur bécasse, accompagné de son épagneul breton Tonic des Neufs Champs.

La chaleur s’annonce accablante. En période de canicule, les jeunes tétras cherchent la fraîcheur des sous-bois plutôt que leurs zones habituelles, plus dégagées. Mais pour obtenir des données comparables aux années précédentes, il faut explorer les territoires établis.

Tonic, excité, balaie le terrain avec une fougue maîtrisée. Nous progressons à travers les vernes et les pentes raides, franchissons même quelques barres rocheuses. Un coq est levé. Luc saisit l’observation sur son téléphone. Plus tard, Manif du Mont Chanois prend le relais, pendant que Tonic se repose. Les chiens, infatigables, se relaient à tour de rôle, tandis que les hommes prennent soin d’eux avec des pauses régulières.

Garder le terrain ouvert

En redescendant par un itinéraire plus doux, nous traversons une large parcelle de vernes récemment dégagée. « Si on ne fait rien, la forêt gagne, explique Luc. Or, ces milieux ouverts sont cruciaux pour la reproduction.» Ces entretiens sont assurés par les chasseurs, en collaboration avec l’Association Alpine Tetrao Tetrix (AATT).

Luc ajoute : « On a aussi obtenu l’interdiction de transporter des VTT via un télésiège pour limiter les dérangements en pleine zone de nidification. C’est un équilibre fragile.»

Moments d’échange et de transmission

De retour aux véhicules, les groupes se retrouvent. Alain Rossier, fidèle au poste depuis plus de vingt-cinq ans, partage anecdotes et souvenirs. Jusqu’en 2022, les ornithologues mandatés par l’État participaient aux opérations. Cette année, invités mais sans mandat pour des raisons de restrictions budgétaires, ils n’ont pas donné suite. « Ils craignaient à l’époque que les chiens dérangent les oiseaux, raconte Alain. Il a fallu beaucoup expliquer le fonctionnement du chien d’arrêt.»

Deux promeneuses intriguées par notre attroupement s’arrêtent. Michel sort une bouteille d’absinthe de sa région, et la discussion s’engage dans une ambiance chaleureuse. On parle faune, chasse, traditions. Les échanges sont riches, les sourires sincères.

Les autres équipes arrivent, et chacun raconte avec fierté les exploits de son compagnon à quatre pattes. « On est tous convaincus d’avoir le meilleur chien du monde », plaisante Charles-Louis Rochat.

Raclette, saucisses de chèvre et passion partagée

Autour d’une raclette – orchestrée, bien sûr, par les Valaisans – la journée se termine dans la convivialité. Manue Piachaud, directrice de l’AATT, fait déguster des saucisses de chèvre produites à partir des animaux de l’association. Elle s’essaie au difficile art du raclage, sous l’œil bienveillant de Jean-Frédéric Sierro.

« Ce sont des moments précieux, entre générations, cantons et horizons différents, se réjouit Sierro. Tous sont bénévoles, non indemnisés. C’est l’amour des chiens et de la faune qui nous unit.»

Au terme des cinq matinées, Luc Jacquemettaz annonce un indice de reproduction de 1/1 – soit un jeune par adulte. Un chiffre peu enthousiasmant, mais à nuancer. « La météo a sans doute poussé les oiseaux à se tenir dans des zones moins accessibles. Il y a probablement eu plus de naissances que ce qu’on a pu observer.»

Les données seront croisées avec les comptages printaniers au chant, et un rapport complet paraîtra prochainement dans nos pages.

Vers un retour de la chasse au tétras lyre ?

Même s’il a disparu de la directive cantonale, le tétras lyre n’est pas interdit à la chasse par le règlement. Les passionnés espèrent donc qu’un jour, sous condition d’un indice favorable, le petit coq des montagnes redeviendra chassable.

« Quand une espèce n’est plus chassée, elle tombe dans l’oubli », résume un participant, citant l’exemple de la marmotte vaudoise.

Ce retour aux comptages, loin des clivages, pourrait bien marquer une nouvelle ère pour la gestion du tétras lyre… à condition que les décisions futures soient guidées par la connaissance et non par l’idéologie.