IL Y A UN SIÈCLE, UN VIRUS…

IL Y A UN SIÈCLE, UN VIRUS…
La fièvre aphteuse est une maladie virale qui affecte les bovins, les porcs,
les chèvres, les moutons et d’autres animaux. Les humains, heureusement,
ne sont presque jamais contaminés.

Texte et illustrations de Bernard Reymond

 

Très contagieuse, elle a eu un fort impact économique et le monde rural a été marqué par différentes épizooties. Celles-ci sont déjà mentionnées au 19e siècle, avec des épisodes dramatiques puisqu’il fallait, en catastrophe, abattre un précieux bétail. Imaginons les conséquences pour des familles paysannes pauvres et sans aides financières.  La redoutée « surlangue », comme on l’appelait dans nos campagnes, s’est encore manifestée en 1965 en Romandie. Des centaines de bêtes ont été abattues lors de cet épisode, le dernier, nous l’espérons. Pour éviter la propagation de ce redoutable virus, les autorités ont établi des règles très strictes et malheur à celui qui ne les respectait pas. Nos populations ont donc vécu dans la peur et cela nous rappelle un peu l’ambiance qui a régné avec le Covid, dans un contexte évidemment très différent.

Un gendarme raconte
Tirées des mémoires d’un gendarme vaudois, témoin des événements du début du 20e siècle, on découvre les réalités vécues par un représentant de la Loi. L’agent Camille Geneux nous fait le récit de l’une de ses missions : « Fièvre aphteuse à Gilly, le 10 octobre 1913 ; j’ai reçu l’ordre de me rendre à Gilly pour y exercer une surveillance durant l’épidémie de fièvre aphteuse. A mon arrivée, le bétail de quatre écuries était contaminé et chaque jour quelques propriétaires me faisaient appeler pour m’annoncer que leur bétail «y avait». Un ordre que j’avais affiché et diffusé largement recommandait aux paysans de ne plus sortir dès les premiers symptômes de maladie de leur bétail. Les premières mesures consistaient à apposer l’affiche officielle ainsi libellée « Fièvre aphteuse. Il est rigoureusement interdit à quiconque de pénétrer dans cette propriété ; de même les habitants ne doivent pas en sortir. La ou les personnes désignées pour soigner le bétail peuvent seules pénétrer dans les écuries. Elles doivent manger et dormir dans un local le plus près possible de l’écurie et indépendant du lieu où vivent des autres membres de la famille. Si pour une raison ou une autre, le préposé aux soins du bétail doit avoir recours à un aide, il devra l’annoncer au gendarme qui surveillera la désinfection des vêtements utilisés par cette personne. Un barrage est dressé autour du bâtiment sous séquestre, un arrosage a lieu chaque jour au moyen d’une solution de sulfate de fer et de créoline. Les courtines sont échaulées. Les chiens, chats, poules divaguant sont abattus ; etc. etc.»
Le gendarme évoque aussi les problèmes relationnels, l’ambiance de suspicion qui pèse sur les communautés. Toutes ces mesures contraignantes, désinfection, élimination des cadavres, qui ont « plombé » la vie des gens. Le village de Gilly, par exemple, a subi les affres du séquestre pendant environ six mois… Triste époque en vérité !

Ordre à tous les chasseurs
Vu la gravité de la situation, Monsieur le chef du Département de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, F. Porchet, prend les dispositions suivantes en vue de l’ouverture de la chasse, le 11 octobre 1920. Voici les directives destinées aux préfets des dix-neuf districts de l’époque :

1. Interdiction de chasser dans une zone de un kilomètre de rayon entourant les localités contaminées ; en outre, l’accès ou la traversée de ces localités sont interdits aux chasseurs.
2.  Aucun permis ne sera délivré aux chasseurs habitant une localité ou un hameau séquestrés ou une maison séquestrée dans une localité contaminée ; ils ne pourront plus continuer à bénéficier des permis qu’ils auraient pu obtenir antérieurement.
3. Les chasseurs devront éviter le plus possible de traverser et surtout de séjourner dans les villages non contaminés ; les chiens seront tenus en laisse pendant la traversée. Etc. etc. L’attention des chasseurs a été spécialement attirée sur le fait que l’inobservation de ces recommandations pourrait avoir de sérieux inconvénients pour eux et même pourrait exposer leurs chiens à des dangers.

La Fédération des sections vaudoises de la Diana donne aussi des recommandations et des précisions
Elle s’adresse à ses membres pour leur « recommander instamment de suivre scrupuleusement les instructions du Service sanitaire cantonal :
1. De vous informer à l’avance des localités contaminées par la surlangue
2. De ne pas entrer, sous aucun prétexte, dans les localités contaminées Rappel de l’article 1 du Département A.I.C.
3. De ne pas laisser les chiens s’introduire dans les localités contaminées
4. D’éviter tout différend avec les agriculteurs ou les personnes chargées du service de protection contre l’épizootie.

L’inobservation des prescriptions du Service sanitaire entraînera une sévère répression des autorités et le retrait du permis de chasse du délinquant. Elle serait de nature aussi à provoquer l’interdiction générale de chasser.  Il résulte, en outre de renseignements obtenus, qu’il y aurait grands inconvénients, même graves, pour les chasseurs habitant d’autres régions à aller chasser dans le Pays-d’Enhaut, les Ormonts et dans la contré de Bex-Gryon.»
La circulaire porte les signatures, au nom de la Fédération, du président Ch. Burnens et du secrétaire N. Bosset (tous deux députés).

Des directives appliquées avec la plus grande rigueur
En lisant ces textes, on se rend compte de la sévérité de ces « ukazes » officiels. Depuis longtemps, l’histoire des épidémies et des épizooties causées par des virus particulièrement contagieux et résistants a nécessité des gros efforts et des sacrifices pour les combattre.
Les autorités n’avaient pas le choix. Il fallait imposer ces règlements très contraignants et les faire appliquer sans concession. Comme je l’ai déjà relevé, la gendarmerie a été très engagée dans cette surveillance. Les vétérinaires, eux aussi en première ligne, ont largement payé de leur personne, tout comme le corps médical aujourd’hui. Lors des grandes crises, il y a souvent des « petits malins » pour profiter de la situation. Je reviens encore sur les récits de ce brave gendarme Camille Geneux qui évoque avec beaucoup de sincérité et de justesse ces temps difficiles marqués par la fièvre aphteuse. « Le Service sanitaire cantonal m’avait avisé de l’apparition dans le canton, d’un dénommé Robert, dit Pinson qui prétendait guérir en quelques jours le bétail atteint de la fièvre aphteuse. Cet individu pénétrait clandestinement dans les écuries, au mépris du séquestre et son action était de propager la maladie plutôt que l’arrêter.» Il fallait donc mettre fin à ce manège, et cela ne fut pas facile. Des agriculteurs crédules et dépassés par les événements croyaient en des moyens magiques. On disait tellement de bien de son traitement qu’on se laissait convaincre. Et on était prêt à collaborer avec lui plutôt qu’avec la maréchaussée. Ainsi va parfois la vie dans les villages.  Mais notre représentant de la loi, après plusieurs péripéties, grâce à sa patience, son opiniâtreté et ses astuces, parvint à mettre fin à cette arnaque.

Les chasseurs et la fièvre aphteuse
Dès les années 1900, bon nombre de chasseurs vaudois se persuadèrent que la fièvre aphteuse avait joué un rôle important dans la diminution du cheptel chevreuil dans le Jura. Ainsi, dans la Revue du chasseur et pêcheur suisse, en 1948, on peut lire : « Profitons du chevreuil pendant que nous en avons. Je me souviens d’une période voisine de 1900 où nous en avions probablement autant qu’aujourd’hui, et il a disparu subitement après une épidémie de surlangue sur les montagnes sans profit pour personne.» Mais cette accusation a suscité beaucoup d’interrogations. Du point de vue vétérinaire, notamment grâce à l’Institut Berlin-Wansee et aux travaux du Dr Schweizer, attaché à l’Institut Galli-Valério à Lausanne, la fièvre aphteuse existe bien chez le chevreuil mais elle est extrêmement rare. La maladie n’a jusqu’à présent jamais été décelée chez cet animal dans notre pays avec certitude, selon l’Office vétérinaire fédéral.
A cause du méchant Covid, notre vie a subi de graves conséquences. Mais n’oublions pas les générations d’avant qui ont eu, elles aussi, leur part d’épreuves et de difficultés.

 

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