ALPES-ÉCO, LA TECHNOLOGIE AU SERVICE  DU  PASTORALISME

ALPES-ÉCO, LA TECHNOLOGIE  AU SERVICE  DU  PASTORALISME
La startup Alpes-éco Schweiz AG développe des solutions numériques innovantes conçues pour accompagner le pastoralisme de montagne.
Ses outils technologiques permettent une meilleure compréhension des dynamiques d’élevage et une optimisation de la gestion quotidienne
des troupeaux.

Texte de Vincent Gillioz

Une approche globale du pastoralisme

Philippe-Charles Monteagudo, entrepreneur vaudois originaire de Savoie, et bucheron de son premier métier, conçoit depuis plusieurs années des outils adaptés aux réalités concrètes du terrain. Sa démarche ne repose pas sur la réponse à un seul enjeu, mais sur une vision systémique : améliorer la viabilité et la lisibilité du pastoralisme face à ses multiples défis.

« Alpes-éco n’a pas été conçu pour répondre à la prédation, mais pour soutenir le pastoralisme dans son ensemble », précise-t-il. Parmi les principaux enjeux : les conflits d’usage, les évolutions climatiques, l’isolement des zones d’estive et le manque de main-d’œuvre.

Une architecture intelligente et économe

La solution repose sur une application mobile, des données satellites et des trackers intelligents conçus et assemblés à Plan-les-Ouates. Ces appareils embarquent le meilleur des technologies actuelles : capteurs, algorithmes embarqués, réseau maillé, et transmission via NB-IoT, un réseau bas débit dédié aux objets connectés.

Un seul tracker principal, placé sur un animal dominant, peut superviser un troupeau de deux cents brebis, assisté par quatre trackers secondaires dits « satellites ». Ceux-ci échangent leurs données dans un rayon de 600 mètres. Le traitement s’effectue localement, et les données sont transmises toutes les cinq minutes.

Cette architecture permet de réduire les coûts d’exploitation de 90 % tout en limitant l’empreinte numérique. La solution est proposée en location à moins de 1000 francs par an, incluant matériel, maintenance, connectivité et assurance. Elle est aujourd’hui utilisée sur plus de 1cent exploitations en Suisse et en France.

 

Une limite assumée: la connectivité, et une approche collective

La technologie repose sur le réseau NB-IoT, fiable mais parfois absent en zone d’altitude. « C’est pourquoi nous développons une version satellite, pour laquelle nous recherchons encore des financements », explique Philippe-Charles. Autre spécificité : le système repose sur une logique de suivi collectif, et non individuel. L’objectif n’est pas de pister chaque bête, mais de détecter les dynamiques comportementales du troupeau. Seuls certains animaux spécifiques, comme les chiens de protection, font l’objet d’un suivi individualisé.

Des indicateurs de références à en devenir 

Parmi les innovations embarquées : le Coût énergétique locomoteur (CEL), qui mesure l’effort locomotion. « En montagne, les animaux gèrent seuls leurs déplacements pour s’alimenter. En croisant le CEL avec les données d’environnement, on peut adapter les pratiques de manière fine.» Dans certains cas, le CEL a doublé sur une saison, révélant des dérèglements de gestion. Ces signaux permettent de préserver la performance du troupeau et la rentabilité de l’exploitation. Les trackers intègrent aussi des capteurs de température et d’humidité, permettant de calculer le THI (indice de stress thermique), facteur clé pour anticiper les pertes d’efficacité liées à la chaleur.

Un système d’analyse et d’alerte

Autre paramètre embarqué : la Valeur absolue d’intensité (VAI), qui qualifie l’activité et l’état comportemental (ordinaire, extraordinaire, à risque). Ces données permettent d’identifier des anomalies ou des phases critiques, toujours dans une logique d’aide à la décision.

« Nous ne faisons pas de promesses de détection d’événements spécifiques. Il ne s’agit pas d’un système de sécurité, ni d’un détecteur d’attaque. C’est un outil d’analyse et de vigilance.» Même les données issues des chiens de protection doivent être interprétées humainement. À ce stade, les tentatives de modélisation comportementale comme le décodage des aboiements restent exploratoires.

Des trackers spécifiques pour les chiens de protection

Alpes-éco a développé une version prototype pour le projet « Ferma », initié par les éleveurs et soutenu par le Service de l’agriculture du canton du Valais, qui vise à réduire les conflits de quiétude entre les détenteurs de CPT et les riverains.

Le collier intègre un haut-parleur, permettant de transmettre à distance un signal sonore ou un ordre vocal, comme le classique « ferma ». Il permet aussi de suivre l’état de fatigue ou de stress du chien.

Lors d’efforts intenses, certaines valeurs du CEL peuvent atteindre +2400% (soit 24 fois la dépense moyenne). Ces données servent à adapter la gestion des animaux, et non à réagir à un événement en temps réel.

« Connaître les niveaux de THI, de VAI, et limiter l’exposition des CPT aux sources de conflit, c’est renforcer leur efficacité. Au-delà, nous travaillons avec certains éleveurs à adapter l’alimentation ou la composition des meutes. Chaque CPT a ses spécificités – et les données peuvent les révéler.»

Conflits, image et pression sociale: une réponse globale

« Sur le plan humain comme opérationnel, les enjeux sont majeurs. En cas de litige ou de plainte, ce sont les éleveurs qui se retrouvent en première ligne.» Outre la charge émotionnelle et les risques juridiques, des tensions locales peuvent apparaître y compris avec des voisins proches. Cela affecte la réputation de l’éleveur et son équilibre de vie.

Monitorer, anticiper, interagir à distance : c’est aussi une réponse à ces pressions, un moyen de préserver la cohabitation et de renforcer la légitimité des pratiques pastorales.

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