ALBERT SALAMIN OU LA PASSION DU CERF

ALBERT SALAMIN OU LA PASSION DU CERF

Élu président de la Commission intercantonale des trophées au début de l’année, Albert Salamin est intarissable sur l’histoire des cerfs du val d’Anniviers qu’il appelle presque tous par leur prénom.

Texte et photos de Vincent Gillioz

 

Albert Salamin aime parler, surtout des cerfs et de l’histoire de son village de Grimentz : « On me dit que je devrais écrire un livre. Mais j’arriverais à peine à remplir deux pages, alors que je peux m’exprimer des heures sur les sujets qui me tiennent à cœur.» Une aisance orale qu’il assume, mais surtout qu’il valorise lorsqu’il présente chaque vendredi depuis une dizaine d’années en saison touristique, sa conférence Les secrets du cerf. Vacanciers, enfants de la colonie, sociétés… peuvent à cette occasion visiter la cave d’un de ses raccards, aménagée et remplie de plusieurs centaines de bois de cerfs, et de quelques trophées. Albert Salamin, qui connaît les animaux par leur prénom, sait d’où ils viennent et où ils vont. Il peut raconter la vie de chaque cerf, en lisant ses ramures comme un livre. Il est intarissable et particulièrement communicatif.

Anniviard avant tout

Sixième d’une fratrie de neuf enfants dont trois frères, Aurel, Armand et Marcelin ont suivi les traces du père en devenant guides, il raconte : « Je crois que mes frangins m’ont un peu dégoûté de la haute montagne. Ils ont remporté deux fois la fameuse Patrouille des Glaciers. Ils sont assez connus. Aurel tient aussi l’hôtel de Moiry. De mon côté, j’ai toujours été sportif et j’ai fait beaucoup de course à pied. Mais je me sens mieux en forêt qu’au-dessus. J’aime les arbres, la récolte de champignons, de bois de cerfs…»

À l’âge de choisir un métier, Albert s’est tourné vers la boulangerie, pas par passion mais « pour rester dans la vallée ». Après son apprentissage chez Epiney à Vissoie, Albert Salamin est parti un an en Suisse allemande, avant de revenir au village pour y ouvrir sa première boulangerie à tout juste vingt et un ans. « Je suis devenu concurrent de mon premier patron. Mais c’est le jeu.» Son parcours suit le chemin d’une vraie success-story, et au fil des ans, l’entreprise grandit et fait référence dans tout le val d’Anniviers. Il remporte plusieurs prix pour certains de ses produits comme la tourte à l’abricotine – interdite aux moins de 18 ans – et son fameux pain du braconnier « fait avec du lard, des oignons et de la farine de pomme de terre… un pain qui suffit pour passer toute la journée sur le terrain.»

Aujourd’hui, Albert a le tea-room de Grimentz, quatre autres commerces et un laboratoire de production. Trois de ses cinq enfants travaillent avec lui et il commence à lever un peu le pied professionnellement, considérant avoir assez travaillé : « J’ai presque soixante ans, je pense que c’est le bon moment.»

Albert se revendique encore artiste, et confie avoir trouvé dans son métier un moyen d’épanouir cette part de sa personnalité. « La boulangerie demande une forme de créativité qui rassasie en partie mes besoins.» Pour le reste, il exprime son sens artistique à travers la peinture, notamment pour décorer ses commerces, et un peu de sculpture. Il a d’ailleurs participé très activement à la création de l’exposition de Vissoie réalisée à l’occasion des 100 ans de la Diana d’Anniviers. Plus de cinq mille visiteurs ont pu à cette occasion entrer en immersion dans le monde de la chasse en Valais.

Chasse dans les gènes

Fils de chasseur, Albert, de même que trois de ses frères, n’a pas échappé à cette hérédité. « Deux de mes fils chassent également, et le troisième est en train de faire le permis. Avant, nous chassions en famille. Aujourd’hui c’est devenu compliqué avec l’arrivée de tous les neveux. Nous sommes trop nombreux. Nous avons fait plusieurs groupes pour le permis A (chasse haute). Par contre, nous chassons le B (chasse aux chiens courants) tous ensemble.»

Ce qu’affectionne particulièrement Albert, c’est la chasse aux cerfs qu’il connaît mieux que personne. « Nous avons dû tout apprendre, raconte-t-il. Il y en avait très peu dans les années huitante. Avant les gens chassaient surtout le chamois. On a tout essayé, le pirsch, les battues, et l’affût. Et nous avons conclu que l’affût était la meilleure solution. Nous sommes devenus assez bons pour savoir où placer les postes, et comment les aménager, dans la limite de ce qui est autorisé bien sûr. Je chasse aussi le renard et j’ai construit un poste d’affût, qui m’a pris des années à mettre au point. Je prélève autour de trois ou quatre cervidés chaque saison, et une bonne vingtaine de renards. Pour les chamois, j’en ai tiré deux ces dix dernières années. Je ne monte pas les chercher, mais si un chamois de forêt passe dans ma ligne, je ne me prive pas.»

Des mues qui en disent long

De son attrait pour le cerf est venue assez naturellement sa compétence pour évaluer les trophées. « J’ai participé à toutes les taxations intercantonales sauf la première, raconte-t-il. Là aussi, nous avons tout appris au fil des ans. J’ai commencé à ouvrir des livres, j’ai approfondi mes connaissances. Il faut savoir comment prendre une mesure, et surtout où la prendre. Diamètres, angles, poids, etc. Ça demande de la rigueur et de la méthode. Nous utilisons les tables du CIC.» Il explique avoir suivi, avec d’autres taxateurs, un cours spécialement dédié, organisé par Jean Bonnard, son prédécesseur à la commission. « Augustin mon fils connaît également bien la taxation. Il y a vingt et une mensurations et seize points d’évaluation par trophée, ce qui prend environ vingt minutes par tête.»

En plus de taxer les plus beaux spécimens tirés dans l’année, la recherche de mues fait partie de ses compétences. Il expose d’ailleurs fièrement le résultat de sa cueillette du jour, et relève son millième bois en faisant son décompte à l’aide d’un carnet dans lequel toutes ses trouvailles sont soigneusement consignées. « Je fais un dessin des bois, ce qui me permet de savoir à quel animal ils appartiennent. Avant même de les ramasser, je peux identifier la bête qui les a perdus.» Selon lui, les autorités de tous les cantons devraient plus consulter ceux qui suivent les cerfs pour préparer les plans de tir. « Les bois donnent énormément d’indications sur la santé du cheptel. En Anniviers, dans les années deux mille, nous avions quinze médailles d’or, alors qu’actuellement, c’est plutôt trois ou quatre. Ce genre d’informations doit interpeller et amener à prendre des décisions sur la manière d’organiser la chasse.»

Nous l’aurons compris, Albert Salamin est bien plus qu’un chasseur ou un collecteur de bois, c’est un érudit de la faune sauvage valaisanne. Il affectionne encore son village natal, dont il connaît toute l’histoire : « J’ai deux passions, le cerf et le patrimoine.» Aussi intarissable sur Grimentz que sur le cerf, mieux vaut prévoir un peu de temps lorsqu’on lui rend visite.

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